Quand le « consentement » – sujet d’actualité – se présente au travail dans une affaire de harcèlement sexuel : cas RPS, quand l’histoire d’amour bascule…
Que penser quand, missionnée par l’avocat d’une entreprise, vous êtes consultée en tant qu’intervenante Risques Psychosociaux (RPS), alors qu’il est question de consentement, de harcèlement sexuel entre collègues, de viol peut-être ?
Que penser quand il est question d’orienter la direction de l’entreprise et son avocat, à travers les conclusions de l’enquête dont on vous a chargée ? enquête qui peut conduire à un possible éloignement des protagonistes, voire une exclusion ? avec, par la suite, peut-être, un licenciement pour faute lourde, une inculpation, une arrestation, une condamnation à la prison, d’abord en préventive, un procès long à venir, une vie de famille détruite, une vie intime de jeune fille fragile, exposée à tous … ?
Lourde responsabilité qui vous empêche de dormir malgré votre formation, votre expérience et professionnalisme !
Complexité de l’être humain et des témoignages, dans un contexte d’actualité forte et passionnelle, sur le thème du « consentement en matière de viol » qui envahit les esprits ? Crainte du poids des mots qui engagent des vies… Vigilance sur les propres biais cognitifs de l’enquêtrice. Questionnement introspectif sur ses possibles partis pris. Doute.
Bien sûr, ce sera aux avocats et à la justice de trancher, mais l’enquête diligentée obligatoirement d’abord par l’entreprise qui doit veiller à préserver ses salariés et devra prendre des décisions, sert en première instance. Elle sera une pièce versée au dossier qui cheminera selon les suites judiciaires dans les méandres de la justice.
Ô combien indispensables, la neutralité, l’éthique, le discernement, « la « délicatesse », la juste distance pour la ou le psychosociologue, le ou la psychothérapeute, la ou le psychanalyste, qui mène l’enquête auprès d’une trentaine de salariés !
Une heure d’entretien confidentiel pour chacun et chacune, de la Direction, aux protagonistes, aux collègues proches, et aux peu concernés. Prise de notes quasi intégrale ; enquête rédigée, structurée, reprenant les verbatims en partie anonymes au plus près des mots dits ; analyse fine, en partie sous l’angle des conditions de travail, du management et des relations dans l’entreprise ; mais aussi, sous l’angle de la psychopathologie, pour tenter de comprendre. Puis, préconisations d’actions à mener dans l’entreprise pour que les salariés retrouvent un climat pacifié.
Au final, un document de 100 pages à produire en une dizaine de jours car la Direction et l’avocat sont impatients. Recherche de vérité mais précautions, hypothèses, nuances, respect des personnes et de l’intime… Des histoires d’amour entre collègues dans les entreprises, cela est devenu si banal !
La jeune stagiaire tombe amoureuse d’un homme marié et père de famille, très apprécié professionnellement, réservé et sérieux. 20 ans d’écart. Lui, qui est le contraire d’un dragueur et est considéré par tous comme l’homme le plus gentil et respectueux qui soit, n’en revient pas que cette jeune fille, si mignonne, soit amoureuse de lui, au point qu’elle voudrait qu’il quitte sa femme. Banal ! Après avoir été troublé, séduit, le voilà perdu !
A ce stade pas de relations sexuelles ; juste des SMS, de brèves rencontres au café, des câlins furtifs et jamais dans l’entreprise. Discrétion au point que personne n’a vu quoi que ce soit. La jeune fille prend de la distance car il est marié et père, mais cherche toujours le contact. Par son écoute empathique, il l’a beaucoup aidée pour dépasser une dépression liée à une ancienne rupture amoureuse. Lui, pas très heureux dans son couple mais soucieux de ne pas peiner sa femme et bon père, « sauveur » amoureux de la fragile jeune fille, est bien incertain sur ce qu’il veut. Banal !
Il rêve cependant d’un unique moment d’amour avec elle, le lui propose : un dîner chez lui, en l’absence de madame. Elle accepte. Erreur ! le piège va se refermer. Elle est si ambivalente à son égard ! Elle lui a cependant signifié qu’elle ne souhaitait pas de contact physique et il a dit vouloir respecter cela.
Mais, patatras ! Lors du soir fatal, la pulsion et les sentiments l’emportent de part et d’autre. Le désir flambe les promesses initiales. Le bon vin, le repas … tout y est pour céder à la tentation. Il lui ouvre les bras spontanément et elle s’y réfugie; se prête au déshabillage en douceur et au rapport sexuel…Mais, en cours de route, subitement ne veut plus ! Il a du mal à s’arrêter instantanément mais le fait, sans comprendre ce qui se passe ! Elle part en hâte, fâchée, mais lui écrira le lendemain que la soirée « a été très agréable et que juste la fin l’a « gênée ».
Mais, coup de tonnerre, 15 jours plus tard : dépôt de plainte pour viol et non consentement. L’affaire est grave. L’entreprise doit-elle le licencier ? Mais il est présumé innocent ! L’entreprise doit au moins le mettre à pied dans un premier temps. C’est fait aussitôt. Que faire avec la stagiaire qui doit finir bientôt son stage et son mastère RH au sujet édifiant choisi par elle… « le harcèlement » !!!
Etonnement des collègues de ne plus le voir sans explication. Arrêt de travail pour dépression de la jeune fille. Enquête. Ecoute attentive. Remarquable mouvement de défense de tous les salariés à l’égard de l’homme, collègue doux et serviable, très apprécié par les femmes comme les hommes, tous sidérés en apprenant le motif de la mise à pied, lui étant perçu comme incapable de viol. Qui est victime ?
Lui est désemparé, désespéré, peiné pour la jeune fille, et très angoissé pour son travail et sa famille. Peu de compassion des collègues pour la jeune fille perçue comme gentille mais infantile. Pour lui, la vie familiale sera sans doute brisée, si ce n’est aussi la vie professionnelle si le juge décide de l’inculper et de l’incarcérer. Pour l’instant, il ne présente aucun danger pour ses collègues ; son retour dans l’entreprise n’est pas source de stress pour les salariés qui ont insisté pour sa réintégration.
Tout bien examiné, il ne s’agit en aucun cas de harcèlement sexuel, malgré quelques SMS amoureux espérant délicatement un passage à l’acte et, elle, indiquant qu’elle ne souhaite pas de contact physique, tout en ayant un discours amoureux. La définition juridique de harcèlement sexuel ne tient pas.
On peut s’interroger sur les motivations inconscientes de la jeune fille à ce marivaudage : » allumer » l’homme, le contrôler, mais se refuser au » sexuel » ? le tenir en son pouvoir ? redouter le vaginisme dont elle souffre ? » jouer à être la chèvre de monsieur Seguin en sachant que le loup n’est pas loin ? Tout simplement être dans une vision « fleur bleue de l’amour », les stades psychosexuels n’ayant pas été normalement franchis ?
Pour la jeune fille : inquiétude sur son équilibre psychologique et sa vie à venir. En effet, l’entretien avec elle montrera une très grande fragilité psychologique et immaturité, lors d’un récit ému, mais confiant : viols par d’autres, antérieurs à cet événement, mais laissés sans suite ; anorexie dans l’enfance ; vaginisme, phobies et anxiété majeure, troubles de la personnalité, peu de réel suivi psychologique, influences diverses pour l’inciter à déposer plainte, surtout paternelles.
Sa plainte : le « non-consentement ». Qu’en penser ? hystérie névrotique ? réalité du non-consentement ? Complexité.
Les témoignages – surtout des femmes – évoquent beaucoup l’évolution des mœurs et comportements, surtout chez les jeunes filles, au risque d’une sexualité et d’un équilibre psychologique, en danger. Une expertise psychiatrique s’impose, mais la souffrance est réelle.
Apparemment, il n’y a pas eu « viol » au sens juridique car « pas de surprise, pas de violence, pas de contrainte, ni de tromperie » ; C’est la définition. « Juste » le sujet du « non–consentement » non encore écrit dans la loi -et qui aurait eu lieu « au cours » de l’acte sexuel. Au juge d’apprécier lorsqu’il mènera aussi son enquête. Complexité. Deux adultes responsables et consentants ?
En attendant la suite judiciaire et pour faire suite à l’enquête de harcèlement sexuel, au motif désormais caduque, l’entreprise réintègre l’homme. La jeune fille est toujours en arrêt maladie en attente d’un interrogatoire médical et policier, mais ils sont répartis à l’avenir sur deux sites professionnels différents.
Le calme revient dans l’entreprise.
C’était une mission Risques Psychosociaux.
Ne manquez aucun article de nos formatrices et formateurs experts et recevez leurs coups de cœur, actualités, conseils et recommandations, en vous abonnant à Repérages, la lettre d’information mensuelle de l’Institut Repère.