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Manager au temps du télétravail : défi ou opportunité ?

La généralisation du télétravail, longtemps perçue comme une exception ou une mesure d’urgence, s’est imposée en quelques années comme un phénomène durable et structurant du monde professionnel.

Nouveau paradigme de la relation vie pro/vie perso, il était en germe depuis la généralisation d’internet qui avait déjà généré la création d’équipes dispersées aux quatre coins du monde. Cette transformation a bouleversé les attentes et les repères normatifs en matière de travail.

Patrons, managers, comme collaborateurs, se trouvent aujourd’hui confrontés à un rapport au travail réinventé dans lequel les composantes psychosensorielles et émotionnelles des interactions humaines sont appauvries. Le temps de travail est devenu à la fois plus flexible et aussi plus complexe, compensé par des avantages pour les uns comme pour les autres : diminution des frais de locaux et de transport pour les entreprises, diminution des temps de trajet et nouveaux cadres de travail pour les collaborateurs.

Auparavant, le management était fait de contacts visuels, d’interactions physiques, d’échanges de paroles et de présences, d’ententes et de conflits, de moments de travail, de réflexions et d’actions ensemble. La transmission non-verbale était aussi importante voire plus que le discours maitrisé. On est passé du paradigme de la relation physique concrète multisensorielle réelle à la relation numérique virtuelle.

Les managers, tout en restant responsables de la vision, sont à la fois garants de la performance collective, architectes du lien social et générateurs de sens et d’innovation. Désormais, les collaborateurs voient eux aussi leur rapport au travail, à l’équipe et à l’entreprise évoluer avec de nouvelles attentes, de nouvelles responsabilités, parfois de nouveaux risques. Tous sont dans l’obligation de penser ces transformations ensemble parce que les uns ne pourront travailler et produire avec les autres que si leurs besoins et devoirs concordent.

Ce changement soulève de nombreux défis : isolement, perte de liens et de sens, perte de cohésion, surcharge mentale, difficultés de communication, délitement de la motivation individuelle qui n’est plus portée par la dynamique de groupe et l’émulation, risques accrus en matière de sécurité des données ou de conformité…

Face à cela, il s’agit d’inventer de nouvelles pratiques, reformaliser les relations, réécrire les chartes de relation, afin qu’elles soient adaptées à la réalité hybride et numérique du travail contemporain. Ceci d’autant plus que bon nombre de métiers vont disparaitre ou être reconfigurés par la technologisation des relations.

La question clé est : Comment faire du télétravail un véritable levier de performance, de sens, d’engagement et de lien social, tout en maîtrisant ses risques et ses limites ?

Le télétravail : un nouveau paradigme à inventer

1. Un bouleversement pour tous

Dans ce contexte les managers doivent revoir en profondeur postures et pratiques. Le contrôle direct, le micro-management, la focalisation sur les détails, le management de proximité, traditionnellement fondé sur la présence physique et l’échange informel, dont les écarts de communication, doivent céder la place à la confiance dans la capacité des individus à être autonomes, responsables, engagés.

La dématérialisation des relations transforme la manière de piloter les équipes, d’évaluer la performance, de motiver, d’accompagner et de soutenir les collaborateurs. Les leviers de l’autorité et de la confiance exigent une agilité renforcée, une capacité d’écoute accrue et de nouvelles capacités et compétences pour tous, surtout pour le manager qui doit être, en recul, détaché des questions d’égo, calme, patient, persévérant et déterminé.

Du côté des collaborateurs, le télétravail bouleverse la routine quotidienne, les repères, les liens sociaux et la structure même de la journée de travail. Avec la disparition des espaces de travail partagés, des horaires qui rythment la journée et créent une discipline de fait, chacun doit trouver ses propres méthodes d’organisation, gérer son temps, sa discipline, son espace, et maintenir le lien avec ses collègues, souvent loin et en dehors des interactions spontanées du bureau. L’autonomie est renforcée en tant que compétence clé, mais le collaborateur doit devenir indépendant et hyper responsable de la qualité de ses livrables. Cela amène à des exigences nouvelles, parfois sources d’émancipation, parfois de difficultés, et accélérateur des conflits voire licenciements, parce que les écarts négatifs perçus entre les attentes de résultats et les résultats effectifs sont exacerbés du fait de l’absence de contact et de l’ignorance de difficultés dont le manager ne peut pas se rendre compte.

Pour l’organisation dans son ensemble, ce sont les choix technologiques, les processus, la culture et la structure du travail qui sont à repenser. Les circuits de décision, les modes de collaboration, la gestion des projets et la circulation de l’information doivent être adaptés à une réalité hybride, où la présence physique n’est plus centrale.

2. Mutation profonde des modes de travail

L’enjeu est d’apprendre ou réapprendre à travailler et à s’organiser dans un environnement largement dématérialisé. La communication descendante du manager vers le salarié, des organisations pyramidales, ne fonctionne plus parce que le pouvoir de résistance du fait de l’éloignement est accentué.

L’autonomie, l’auto-organisation et l’indépendance deviennent des compétences requises. À distance, le salarié ne peut plus s’appuyer sur les anciens atouts du bureau : horaires fixes, supervision informelle, présence de l’équipe, soutien émotionnel, accès aux collègues pour palier à ses manquements. Il doit développer la capacité à être son propre maitre, création de ses propres routines et rythmes, gestion rigoureuse de ses priorités calées sur celle du business et des clients, autodiscipline avec sa propre auto-supervision et autocritique, parfois en l’absence de feedback immédiat, voire même avec une disparition des feedbacks, à part la sanction de recadrages sévères et/ou de rupture de contrat sans accompagnement.

Aux managers, il incombe d’accompagner cette montée en autonomie et indépendance sans tomber dans le piège du laisser-faire : fixer des objectifs clairs, et aussi être disponibles, soutenir, guider, prévenir les risques de solitude ou de démotivation. Ils doivent trouver de nouveaux modes de gestion du lien et de la communication pour que le travail en isolement relatif soit source de sens, de satisfaction, de motivation et de progrès pour chacun et pour le collectif. Cela suppose d’apprendre à piloter des équipes dispersées, à instaurer des rituels collectifs et faire vivre la dynamique d’équipe au-delà des frontières physiques.

La collaboration, elle aussi, prend de nouveaux visages. Les outils numériques (plateformes de gestion de projet, visioconférences, espaces partagés, outils numériques pour produire en mode asynchrone) deviennent le socle des échanges quotidiens. Mais leur maîtrise ne va pas toujours de soi : il faut former, accompagner, instaurer des règles d’usage pour éviter la surcharge informationnelle ou les malentendus. Les codes de langages oraux ou par écrits doivent être ré-évalués. L’efficacité collective dépend désormais de la capacité de chacun à utiliser ces outils de façon pertinente, responsable et selon de nouvelles normes à créer collectivement.

Enfin, cette mutation impose de développer une nouvelle culture de l’apprentissage continu. Le télétravail accélère l’obsolescence de certaines compétences et fait émerger de nouveaux besoins : gestion du temps à distance, maitrise des outils, communication écrite, intelligence émotionnelle, maîtrise des technologies collaboratives… L’advenue de l’Intelligence Artificielle amplifie ces points parce qu’elle amène une accélération des idées, le remplacement de certaines compétences et métiers et un bouleversement culturel considérable.

Pour rester performants et engagés, collaborateurs et managers doivent s’inscrire dans une démarche d’adaptation et de réinvention permanente, de formation continue quotidienne, et non plus épisodique, et d’accompagnement en mode coaching totalement intégré dans les pratiques pour produire en suivant le flow des changements.

3. Nouvelles attentes et besoins des collaborateurs

Le télétravail, reflet d’aspirations individuelles plus affirmées, que les millénium avaient déjà fait sentir dans les relations collaborateurs – managers dès les années 2000, se traduit par la recherche de nouveaux rapports entre la vie professionnelle et l’émergence de critères comme la qualité de vie.

La quête de sens et d’utilité s’est nettement renforcée avec le télétravail. Le salarié est moins exposé à l’environnement collectif de l’entreprise ; il recherche donc davantage de visibilité sur l’impact de son travail et sur sa contribution réelle aux objectifs de l’équipe et de l’organisation. Les collaborateurs attendent des managers qu’ils clarifient les missions, donnent du sens aux objectifs, valorisent les apports individuels et fassent le lien de sens entre les acteurs en rendant visible les actions de tous, l’engagement de chacun et les réussites.

La flexibilité est devenue une valeur prépondérante. Les collaborateurs demandent la possibilité d’aménager leurs horaires et plus de souplesse en fonction de leurs pics de productivité ou de leurs contraintes familiales. Cette flexibilité va au-delà des horaires : elle touche aussi la manière d’atteindre les objectifs, la gestion des priorités, et le choix des outils ou des modes de communication, voire le choix des co-équipiers dans un projet.

Le besoin de reconnaissance a fortement augmenté. Les collaborateurs souhaitent que leur implication, leur autonomie et leur capacité à surmonter les difficultés soient reconnues, même lorsque le manager n’est pas physiquement présent. La reconnaissance doit être plus explicite, plus régulière et prendre des formes adaptées au contexte digital : messages personnalisés, valorisation lors des réunions virtuelles, feedbacks constructifs et encouragements. Le comble est que l’absence de reconnaissance peut être requalifiée comme un désintérêt de la part du manager, une volonté d’ignorer, d’isoler, et peut même venir prouver une forme de harcèlement psychologique.

Le maintien du lien social et de la cohésion d’équipe reste paradoxalement une préoccupation majeure, le télétravail pouvant générer un sentiment d’isolement, voire d’exclusion. Les collaborateurs attendent de leur manager qu’il anime la vie d’équipe : moments d’échanges informels, partages d’informations et vigilance que chacun garde sa place au sein du collectif tout en ayant la sensation de faire corps. On voit maintenant des réunions virtuelles dont le seul but est de se connaitre ou se donner des nouvelles.

L’intelligence collective est devenue le cœur du management. Les collaborateurs veulent continuer à coconstruire, partager des idées et innover ensemble. Ils attendent que les outils et les méthodes de travail favorisent la collaboration et la créativité, tout en respectant le rythme et les contraintes de chacun.

4. Transformation de la culture managériale

Le télétravail agit comme un catalyseur de transformation de la culture managériale. Il remet en question les modèles traditionnels, fondés sur la proximité physique, le contrôle direct et la hiérarchie verticale, pour ouvrir la voie à de nouvelles pratiques : confiance, délégation autocontrôlée, autonomie, indépendance, responsabilisation, coopération et leadership participatif.

Pour le passage d’un management de contrôle à un management de la confiance, le manager n’est plus seulement un superviseur : il devient facilitateur, coach, animateur de la dynamique collective. Il doit apprendre à déléguer, à fixer des objectifs clairs, à accompagner l’autonomie et à valoriser la prise d’initiative. Cette évolution suppose de développer de nouvelles compétences, notamment en communication, intelligence émotionnelle et gestion de la diversité des profils et des situations.

L’implication des collaborateurs dans la co-construction de la culture managériale est également essentielle. Pour que la transformation soit acceptée et durable, il est recommandé d’associer les équipes à la définition des nouvelles pratiques, d’organiser des ateliers participatifs, de recueillir régulièrement leurs retours et de favoriser le dialogue.

La formation et l’accompagnement des managers est le levier incontournable pour réussir cette mutation. Le développement des soft skills, le recours au coaching, l’évaluation à 360°, le codéveloppement entre pairs et la mise en place de communautés managériales, vont faciliter l’appropriation des nouveaux comportements et l’ancrage des valeurs partagées.

La transformation culturelle doit s’inscrire dans la durée et être mesurée régulièrement. Il s’agit d’un processus évolutif, qui nécessite de revisiter les processus RH (recrutement, intégration, évaluation, formation), de pérenniser les pratiques qui fonctionnent et d’ajuster en continu les dispositifs en fonction des retours du terrain et des évolutions de l’environnement.

5. Réinvention de l’expérience collaborateur

Le parcours du collaborateur au sein de l’organisation, depuis l’intégration jusqu’au développement professionnel et à la fidélisation, a besoin d’être repensé. Cette réinvention de l’expérience collaborateur est un enjeu stratégique : elle conditionne l’engagement, la motivation et la rétention des talents dans un contexte où la distance physique peut fragiliser le lien avec l’entreprise.

L’intégration à distance constitue un premier défi. Elle nécessite créativité et humour pour briser la glace. Accueillir un nouveau collaborateur, sans contact présentiel, demande d’imaginer de nouveaux rituels : parrainage digital, modules d’onboarding en ligne, présentation virtuelle de l’équipe, envoi de kits de bienvenue à domicile, invitation à partager atouts et particularités entre nouveaux et anciens membres de l’équipe pour identifier les ressources mutuelles. L’objectif est de créer dès le départ un sentiment d’appartenance et de donner accès à la culture d’entreprise.

La formation et le développement des compétences prennent de nouvelles formes. Les formations en présentiel laissent place à des formats hybrides : e-learning, classes virtuelles, tutoriels vidéo, ateliers collaboratifs en ligne. L’accent est mis sur l’autoformation, le partage de bonnes pratiques et l’apprentissage par les pairs. Les managers jouent un rôle clé dans l’identification des besoins, l’encouragement et le suivi des parcours de formation.

Le management de la performance et de la carrière change. Les entretiens d’évaluation, les feedbacks et les plans de développement doivent être plus fréquents, plus personnalisés et centrés sur les résultats, l’autonomie et la capacité à collaborer.

Le bien-être et la qualité de vie au travail étant essentiel à l’expérience collaborateur, les entreprises doivent proposer des dispositifs spécifiques de gestion des relations manager/collaborateurs (baromètres, enquêtes de satisfaction, permanence RH), des accompagnements adaptés (soutien psychologique, binôme de parrainage, ateliers de gestion du stress, sensibilisation à la déconnexion, mentorat) et des moments de convivialité virtuelle.

La fidélisation des talents passe par l’attention portée à l’équité de traitement, à la reconnaissance et à la valorisation des initiatives individuelles ou collectives, même à distance. Il s’agit également de donner du sens à l’action, de renforcer la transparence sur la stratégie de l’entreprise et d’impliquer les collaborateurs dans des projets transverses et innovants.

En conclusion

Le télétravail est un laboratoire de transformation du monde professionnel. Au-delà de simples modalités d’organisation, il révèle la capacité des entreprises et des managers à s’adapter, à innover et à repenser en profondeur la collaboration, la gestion des équipes et la culture d’entreprise. Il a aussi mis en lumière de nouveaux défis : préserver la cohésion, garantir l’équité, prévenir les risques psychosociaux, sécuriser les données et inscrire durablement ces évolutions dans la stratégie de l’organisation.

Le télétravail invite chaque manager à devenir un acteur clé de la transformation, en cultivant la confiance, l’écoute, l’agilité et l’exemplarité. Il s’agit de dépasser la logique du contrôle pour bâtir des environnements de travail fondés sur l’autonomie, l’indépendance, la responsabilité mature, la reconnaissance, l’intelligence collective et le sens partagé. Le télétravail, devient un formidable levier d’engagement, d’innovation et de performance durable.

L’enjeu, pour les entreprises est de ne pas considérer le télétravail comme une parenthèse ou une solution temporaire, mais comme une opportunité de réinventer leur modèle, d’attirer et de fidéliser les talents, et de construire une organisation plus humaine, plus inclusive et plus résiliente.


FOCUS SUR :

Le parcours certifiant « Manager et coopérer en situation complexe » inscrit au Répertoire spécifique de France Compétences sous le numéro RS6682 ce qui le rend éligible au CPF

Un parcours se centre sur l’acquisition de compétences spécifiques dédiées au management et à la coopération en situations complexes telles que la transformation d’entreprise, la conduite du changement, la gestion des problématiques urgentes, ou encore la régulation des conflits interpersonnels. S’appuyant sur l’expertise de l’Institut Repère sur les approches PNL et Process Communication Model®, le parcours offre aux professionnels de l’encadrement des clefs pour faire face à l’incertitude et à l’urgence dans un contexte de travail tendu.

=> En savoir plus sur ce parcours certifiant : dates des prochains sessions, contenu, tarif.

Clément BOYÉ

Clément a plus de 30 années d’expérience en ingénierie pédagogique, formation et accompagnement à la transformation des personnes et des organisations, avec des interventions et des créations pédagogiques très variées. En entreprise, il s’adresse plus particulièrement aux dirigeants et aux managers. Depuis plus de 25 ans, il forme à plusieurs approches et méthodes: PNL (Programmation Neuro-Linguistique), Hypnose, Créativité, Décodage des complexités systémiques, pour performer en communication, changer ses réalités et se développer personnellement tout autant que développer ses activités professionnelles. Il s’appuie sur ses expériences d'entrepreneur, manager, consultant en créativité et innovation, coach et psychopraticien. Créateur de plusieurs méthodes (Coaching R.E.A.L.I.S.E., La tendresse soignante, Self-Inception) et plusieurs modèles (S.C.O.P.I.E.S, La stratégie du Rêve, Les niveaux de cohérence), il les croise avec l’approche Générative et amène les dirigeants et managers à structurer leurs ambitions et transformer leurs visions en processus de formation-développement.

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