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Article de Malika Belkassan “Métaphore n°50 de décembre 2007”

Dans le contexte actuel en France de profonde remise en question des modes de formation et de validation sociale des psychothérapeutes, les quelques réflexions qui suivent essayeront d’alimenter la question, non pas de la scientificité de la P.N.L., mais de sa dimension psychothérapeutique. La psychothérapie n’est-elle qu’un champ d’application de la P.N.L. ou son axe profond ?

De très nombreux livres sont disponibles aujourd’hui en français pour présenter la P.N.L en détail à travers ses concepts et protocoles d’interventions. J’ai choisi de présenter plutôt quelques citations de l’époque de ses fondations, montrant les rapports étroits qu’elle entretenait avec la psychothérapie dans son origine même, et quel tournant son évolution a pris ensuite.

En lisant attentivement les tout premiers livres publiés aux Etats-Unis par ses fondateurs, R. Bandler et J. Grinder, et  ceux de R. Dilts, on peut reconstituer les étapes de leur processus de découverte de la P.N.L. Mais on trouve également au fil des pages, et c’est ce qui  nous intéresse ici, des indications importantes montrant l’évolution de leur  positionnement identitaire. Aucun de ces livres n’étant traduit en français à ce jour, ce qui est très regrettable pour la recherche, je traduirai les citations au mot à mot. Les références bibliographiques correspondant à chaque information sont citées en fin de paragraphe.

Un bref rappel des origines de la PNL

En 1972, Richard Bandler est étudiant à l’Université de Santa-Cruz. Après avoir étudié précédemment les mathématiques, la cybernétique et la philosophie, il est alors dans un cursus de psychologie. Il a par ailleurs  déjà rencontré Fritz Perls , Virginia Satir et Ida Rolf, trois thérapeutes très connus et reconnus, avec lesquels il a suivi des groupes,  et dont il a pu suivre l’enseignement. Dans le cadre d’un travail pour un éditeur, il a également accès à des manuscrits  et des enregistrements de leurs séminaires.  Et, dans le cadre de ses cours de psychologie, il a la possibilité de monter un ” module” pratique sur la psychothérapie, unité validable dans ce type de cursus,  à condition d’avoir un professeur référent. Il choisit de proposer à ses collègues étudiants un atelier pratique  de Gestalt Thérapie,  et son professeur référent est John Grinder, dont la spécialité est la linguistique chomskienne (Grinder, Elgin 1973; Grinder 1974) .

Pour les détails de l’évolution de ce groupe expérimental, on peut se référer au petit livre de souvenirs personnels de Térence MacClendon, un de leurs tout premiers participants (MacClendon,1989). On y trouve notamment des descriptions imagées du style de vie des étudiants sur le campus, des rapports entre participants et fondateurs, et l’expérimentation progressive, entre 1972 et 1974, des techniques innovantes de ce qui ne s’appelle pas encore P.N.L. Tout d’abord celles issues de la Gestalt-Thérapie de Perls et de la thérapie familiale de V. Satir ,  puis celles inventées par la créativité de Bandler et Grinder . On peut ainsi suivre l’alternance entre les temps de recherche expérientielle sur les effets thérapeutiques, où le petit groupe essaye et commente, et les temps d’observation et de formalisation d’un modèle en direction de la communauté universitaire.

Virginia Satir s’intéresse à ce premier groupe d’expérimentation, qu’elle vient de temps en temps observer d’un point de vue clinique. (Idem)

Bandler anime également des groupes en dehors de l’université : en Gestalt-Thérapie, thérapie reichienne et thérapie de couple. Il anime un groupe le lundi soir, auquel assiste John Grinder. Et celui-ci, le jeudi soir, anime avec des volontaires son propre groupe en reproduisant les compétences qu’il a observées : ce second groupe s’appelle “repeat miracle group” (MacClendon, 1989) (Grinder,1994)(O’Connor, Seymour 1990 ), il a pour but de vérifier jusqu’où va la possibilité d’apprentissage par modélisation comportementale.

Voici comment  John Grinder décrira plus tard leur première équipe  de recherche : “La Gestalt était le premier modèle à l’intérieur duquel Richard et moi avons pu communiquer. Je veux dire par-là que Richard sentait qu’il le faisait bien. Il m’a demandé de l’aider à trouver une manière de le transférer au niveau méta pour que d’autres personnes puissent le faire aussi bien que lui. Ma réponse de linguiste était qu’il faut que je sois comme quelqu’un qui parle la langue en question comme sa langue maternelle, avant d’étudier la syntaxe de la langue.” (Grinder, oct 94)

Bandler et Grinder sont très rapidement rejoints, dès 1972, par Robert Dilts, étudiant dont la spécialité est la neurologie. Dilts a un diplôme en behavioral  technology, et reçoit en 1977  e “President’s Undergraduate Fellowship” pour une recherche sur la corrélation entre les mouvements oculaires et les fonctions du cerveau, qu’il a conduite au Langley Porter NeuroPsychiatric Institut de San Francisco.

Il est intéressant de souligner le considérable brassage d’idées de l’époque. Il est favorisé par la structure particulière des universités américaines qui, à la différence des universités françaises plus spécialisées, veulent rester très inter-disciplinaires, autorisant et même favorisant le mélange dans les cursus étudiants entre  les sciences dites “dures” (physique, mathématiques, cybernétique puis informatique, etc…) avec les sciences humaines (psychologie, art, droit et affaires ). C’est cette richesse interdisciplinaire,    propice à la modélisation de la  complexité,  que décrira  Edgar Morin  dans son livre Journal de Californie ( Morin, 1960).

Un autre facteur d’influence est  la proximité géographique, dans un rayon de 100 km, de pôles de recherche aussi contrastés que :
– au Nord, le Mental  Research Institut de  l’Ecole de Palo-Alto où Paul Watzlawick et son équipe, dont fait partie Virginia Satir,  travaillent sur une applications psychothérapeutique des théories de la communication de Grégory Bateson.  Les  concepts de paradoxes, double-contrainte, et homéostasie, par exemple,  viennent de leurs travaux.
– Juste en dessous sur la carte,  commence la Silicon Valley  alors en pleine émergence de l’industrie informatique,
– et de l’autre côté de Big Sur, quasi à égale distance vers le Sud, le “Centre Permanent de développement du Potentiel Humain”  plus connu sous le nom de Centre Esalen, fondé par Michael Murphy et Richard Price, qui après avoir commencé par réunir des théoriciens de la psychologie humaniste (Kaplan, Maslow ) avec des philosophes comme Aldous Huxley et Arthur Young,  est devenu un lieu d’importation et d’expérimentation des philosophies orientales (bouddhisme, taoïsme) et existentialistes (Heiddeger, Sartre) appliquées à la recherche de nouvelles thérapies. C’est là que viennent enseigner des thérapeutes comme Carl Rogers, Moshé Feldenkrais, Virginia Satir, ainsi que des scientifiques comme Rupert Sheldrake,  Edward T. Hall et Grégory Bateson.

À l’Université de Santa-Cruz, Bandler , Grinder et Dilts  ont l’occasion de rencontrer G. Bateson venu enseigner ses théories sur la communication après avoir quitté le M.R.I. de Palo-Alto, et qui publie d’ailleurs cette année là Vers une écologie de l’esprit (Bateson, 1972).
Certains chercheurs du M.R.I. se sont intéressés aux travaux de Milton Erickson, psychiatre, inventeur de l’hypnose ericksonienne (Haley, 1967,1973 ). Dilts a aussi étudié avec lui.

L’identité au fil des premiers livres

En 1975, Bandler et Grinder publient  leur premier livre : The Structure of Magic, qui porte comme sous titre : Un livre à propos de langage et thérapie, à la maison d’édition de V. Satir : Science and Behavior Book, de Palo-Alto. (Bandler, Grinder 1975a)
Ils y  présentent leur application des concepts de la grammaire transformationnelle de Chomsky, en particulier les concepts d’omission, distorsion, et généralisation, à l’analyse du langage dans un contexte de thérapie.

Se basant sur les théories chomskiennes pré-existantes, à savoir que la structure de l’expérience intérieure profonde d’une personne se retrouve dans la structure du langage qu’elle utilise, et que, suivant la phrase célèbre de Korzybki ” la carte n’est pas le territoire”, Bandler et Grinder posent l’hypothèse que des changements volontairement provoqués par le thérapeute dans la structure du langage de son client (sa carte) doivent entraîner des changements dans la structure de son expérience (le territoire) .
“Quand les gens viennent vers nous en thérapie, exprimant de la souffrance et de l’insatisfaction, les limitations dont ils font l’expérience sont typiquement dans leur représentation du monde, et non dans le monde lui-même.”( p. 179) (…) En utilisant cette grammaire appropriée pour la thérapie, nous, les thérapeutes, pouvons assister nos clients à élargir les portions de  leurs représentations  qui les appauvrissent et les limitent.”(p.180)

Dans ce premier livre, leur identité est très clairement énoncée : ils  se présentent comme des thérapeutes et des chercheurs,  mais dont la recherche s’inscrit d’emblée à plusieurs  niveaux. C’est d’abord une recherche théorique visant à modéliser linguistiquement les compétences langagières de psychothérapeutes observés en séances, essentiellement Perls et Satir . C’est  ensuite, comme première application pratique, la mise en forme d’un nouvel outil-questionnaire destiné aux thérapeutes, quelle que soit leur approche préalable, pour qu’ils l’ajoutent à leurs techniques de diagnostic et d’intervention. Ils appellent l’ensemble méta-modèle.

C’est enfin, au niveau le plus large, le début d’un modèle théorique de la communication et du changement, basé sur l’analyse de la structure des systèmes de représentations, repérée dans  le langage verbal d’abord, puis très vite le non-verbal.

Voici ce qu’ils en disent eux-mêmes : ” En adaptant les concepts et mécanismes du modèle  transformationnel (à propos ) du  langage en tant que système humain de représentation  aux buts de la thérapie, nous avons développé un Méta-modèle formel pour la thérapie. Le Méta-modèle est formel parce que

– il est explicite. C’est-à-dire qu’il décrit le processus thérapeutique étape par étape, garantissant que le Méta-modèle est apprenable. Le résultat en est une stratégie explicite pour la thérapie.
– Il est indépendant du contenu, travaillant avec la forme du processus, et de cette manière, est universellement applicable.”(p.180)

On peut remarquer que ce premier livre s’adresse directement aux professionnels de la thérapie : ” Ce livre est  conçu pour vous donner une gamme d’outils qui vont vous aider à devenir un thérapeute plus efficace.” Ils précisent même: ” ces outils sont compatibles avec  chacune des  formes de  psychothérapie dont nous puissions avoir connaissance.”(p.2)

La même année, Bandler et Grinder publient également Patterns of the hypnotic techniques of Milton Erickson, M.D. Volume 1, (Bandler, Grinder 1975b) dans lequel ils continuent à se présenter en tant que thérapeutes ” Dans notre travail, à la fois en thérapie et en hypnose…”( p.253)

Le livre contient le même travail de triple niveau : analyser linguistiquement les inductions de Milton Erickson, en tirer des schémas formels de son langage hypnotique, et les organiser en un autre outil, le “Milton Model”, transférable à leur public, qu’ils désignent ainsi : ” (…) ceux qui utilisent l’hypnose pour des buts médicaux, dentistes, ou psychothérapeutiques ” (p.7). On retrouve la dimension “protocoles utilisables” de la P.N.L., mais ils mentionnent aussi leur sentiment de construire un nouveau système thérapeutique : ” Nous avons utilisé nos techniques de formalisation pour explorer et comprendre les autres systèmes de représentations utilisés par les êtres humains pour organiser et créer des modèles de leur expérience. Ces cartes d’expériences kinesthésiques, visuelles, auditives, olfactives et gustatives ont alors été utilisées pour élargir notre modèle de thérapie.” (p.8)
Ils décrivent de plus en plus clairement leur  intérêt pour la modélisation en tant que compétence à part entière : ” Notre outil est de construire des modèles explicites du comportement humain complexe. Ce que cela signifie, c’est que nous construisons des cartes de ces schémas complexes de comportement, et que ces cartes permettent alors à d’autres gens d’apprendre et d’utiliser ces schémas de comportement. ” (p. 1)

L’année suivante, 1976, deux livres et un article paraissent :

Le premier : Changing with families est co-écrit par Bandler, Grinder et Virginia Satir (1976). La même stratégie d’analyse est appliquée à la pratique de Satir en thérapie familiale, cette fois à partir d’observations non plus seulement linguistiques, mais également basée sur l’approche systémique. Le modèle qui en sort est  baptisé ” modèle des parties”, et les trois niveaux  du projet continuent d’exister : il est  à la fois  une modélisation de savoir-faire d’un expert, un ensemble de nouvelles procédures d’interventions spécifique à la P.N.L. et l’ajout d’une vision psychodynamique des relations intra-psychiques à leur vision préalablement plutôt cognitivo-comportementaliste.

Grinder et Bandler publient aussi cette année là le second tome de Structure of Magic, dont le sous-titre est : “Un livre à propos de communication  et de changement “.  Voici ce qu’ils en disent : ” Nous avons trouvé  utile, en organisant notre expérience à la fois en  thérapie et dans nos Therapy Training Seminars, de diviser les distinctions du Méta-modèle en trois catégories :
a) rassembler  l’information
b) identifier les limites du modèle du client
c) spécifier les techniques à utiliser pour le changement. “(Grinder, Bandler, 1976, p.165)

Le second tome de Patterns of Milton Erickson paraît en 1977 (Grinder, DeLozier et Bandler, 1977). Et  tout en continuant à y analyser les techniques d’induction de transes pour les enseigner aux thérapeutes,  ils apportent un nouveau système de notation des représentations sensorielles, le “V.A.K.O.G «, utilisable pour l’identification des programmes répétitifs, en référence au modèle cybernétique  du TOTE * de Miller, Galanter et Pribram.

Pendant ce temps là,  Robert Dilts  publie en 1976 Roots of N.L.P., un article dans lequel il reprend les racines conceptuelles de la P.N.L. dans les théories de  l’information, de la cybernétique, et de la neurologie.

En 1977 un second article : EEG and Representational Systems, présente  ses expériences au laboratoire de Joe Kamiya, professeur de psychophysiologie au Langley-Porter Institute, division de l’ Ecole de Médecine de l’Université de Californie à San Francisco. Elles portent  sur le rapport entre les  mouvements des yeux et les électroencéphalogrammes (EEG) , et tentent de vérifier  les observations empiriques de Bandler et Grinder sur les systèmes de représentations.

Un autre article de Dilts, daté de 1977, intitulé N.L.P, a new psychotherapy, est annoncé dans la bibliographie de  NL.P. Volume 1., mais n’est pas publié. C’est un  article de  1978,  Application of Neuro-Linguistic Programming to Therapy.  qui, ajouté aux deux précédents,  formera cinq ans plus tard le livre Roots of N.L.P.. ( Dilts, 1983)

Dilts y présente la P.N.L., entre-temps devenue “marque déposée”, de la manière suivante :”La Programmation Neuro-Linguistique, N.L.P.™,  fournit une nouvelle approche de la psychothérapie qui est actuellement en train de devenir populaire à travers les Etats-Unis et plusieurs régions d’Europe. Développée par les modélisateurs comportementaux John Grinder et Richard Bandler,  elle est basée sur leur propre expérience de communicateurs professionnels et emprunte aussi largement au travail thérapeutique de Frédérick Perls, Virginia Satir et Milton Erickson, M.D.,  fondateur de la Société Américaine d’Hypnose Clinique..” (Dilts 1983-3,p.3)

Dilts décrit la difficulté de classifier  la P.N.L., qui ” ne semble entrer dans aucune des écoles existantes de psychothérapie. “, et qui peut  être considérée comme comportementale par son parti pris de formaliser les règles gouvernant les comportements conditionnés, mais d’un autre côté comme psychodynamique lorsqu’elle se concentre sur les relations entre les parties et leurs processus internes , ou encore  comme humaniste lorsqu’elle met l’accent sur l’infinité des ressources inconscientes de la personne et la position paradoxale de chaque être humain,  à la fois “simple grain de poussière dans l’univers, et créateur de son propre univers” . (idem, p. 4)

* TOTE = Triger, Operation, Test, Exit.  Déclancheur, opération, texte, sortie.

Le choix des fondateurs

MacClendon décrit comment, de 1972 à 1979,  les outils de base de la P.N.L. émergent l’un après l’autre,  recadrages, ancrages, changement d’histoire,  décodage sensoriel , etc. puis sont transposés immédiatement  en  techniques formalisées et enseignables. Il raconte également comment les premières demandes de formation émanant, non plus de thérapeutes, mais de directeurs d’entreprises ont commencé à arriver, comment la P.N.L. est alors devenue en 1977  une marque déposée, et comment la Society of Neuro-Linguistic Programming, première entreprise de diffusion de la P.N.L a été créée, prévoyant l’organisation d’un cursus avec diplômes, et ouvrant ses séminaires  pour tout public .

En 1979, dans Frogs into Princes, Bandler et Grinder annoncent nettement qu’ils ne s’identifient plus désormais uniquement comme thérapeutes  :  “ ce que nous faisons diffère de plusieurs manière des autres qui (font) des séminaires en communication  et  psychothérapie “(p.1)  (…) Nous nous nommons modélisateurs. (…) nous ne sommes pas des psychologues**  , et nous ne sommes pas non plus des théoriciens ni des théologiens. ( p.7)” Dans ce livre, directement retranscrit d’un séminaire, ils annoncent leur choix d’un développement pragmatique plutôt que scientifique  ” La fonction de la modélisation est de parvenir à des descriptions qui soient utiles. (…) Nous ne vous offrons pas quelque-chose  qui est vrai, seulement des choses qui sont utiles.  (Bandler, Grinder, 1979, p.7)

En 1980, Dilts, Bandler, Grinder et DeLozier publient Neuro-Linguistic Programming :  Volume  1,  dont le sous titre est : The Study  of the Structure of  Subjective Experience.
Les auteurs y  reprennent la notation des systèmes de représentations VAKOG, la croisent avec la notation cybernétique “TOTE” , et l’élargissent en un nouveau concept : les stratégies, servant à l’identification et la notation de séquences cognitivo-comportementales structurées, comme apprendre, décider, choisir, etc. Le décodage  et l’installation des stratégies d’excellence dans tous domaines devient alors le but principal de la P.N.L., avec le présupposé que toute compétence humaine est potentiellement modélisable et transférable à d’autres êtres humains. Cette modélisation cognitivo-comportementale est applicable “aux individus, aux groupes et aux organisations“( p.14).

Ce livre est une sorte d’acte de naissance officiel de la P.N.L.™, ” sous-produit inattendu de la collaboration  de R. Bandler et J. Grinder pour formaliser les schémas percutants de communication “(p.2)  dont ils veulent désormais faire une discipline à part entière, autonome de tout champ scientifique de référence, et diffusable à tout champ d’application  :
Nous souhaitons, à ce stade, séparer notre P.N.L.. des nombreux champs d’où elle tire  information, des nombreux champs où  elle trouve  application.  Et de cette manière avoir une plus grande clarté et liberté pour tracer le profil des méthodologies et buts  de base  propres à la P.N.L..”(p.1)

En 1983,  dans Applications of  Neuro-Linguistic Programming, Dilts présente en sept chapitres certains de ces nouveaux champs d’applications de la P.N.L : à la communication en entreprise,  à la vente, à la thérapie familiale, à la négociation, à l’analyse d’un  texte philosophique, à l’éducation, à la créativité dans l’écriture , et à la santé. La P.N.L. y est définie comme “un modèle comportemental avec un ensemble de procédures opératoires.”(p.3). (Dilts, 1983b)

A partir de 1977 déjà, la psychothérapie n’est plus qu’un champ d’application parmi d’autres, et les séminaires  de formations en P.N.L. s’adressent  à tous : thérapeutes, mais aussi juristes, vendeurs, chefs d’entreprise,  etc.  L’enseignement donne accès à des diplômes internes : praticien, maître-praticien, enseignant en P.N.L..

Les livres de formation technique à la P.N.L. se multiplient : Steve Andréas, thérapeute gestaltiste, ancien élève de Maslow, et un des premiers élèves de Bandler et Grinder, publie plusieurs livres transcrits de leurs séminaires : Frogs intoPrinces (1979),  Trance-Formation (1981), Reframing (1982),  puis de Bandler seul : Using your brain for a change (1985a) ,  et de lui-même avec Connirae Andreas : Change your mind and keep the change (1987) et Heart of the Mind (1989 ).

Plusieurs livres de P.N.L. sont écrits par les tout premiers élèves. Ces livres porteront sur l’hypnose ( Gordon, 1978,1981), la psychothérapie ( Lankton, 1980) ( Cameron-Bandler, 1978, 1985)( Cameron, Lebeau, 1985), (Farelly, 1978) ou la P.N.L appliquée à la communication (Lewis, Pucelik, 1982) ( Grinder, MacMaster, 1980)

Devenus des enseignants en P.N.L., la plupart d’entre eux fondent leur propre institut, aux Etats-Unis, en Australie, à Hawaii… La P.N.L., champ de recherche clinique devenu en quelques années un produit de formation™ à succès, commence la brillante carrière internationale que l’on sait…mais ceci est une autre histoire…

**La thèse de Bandler  en psychologie avait pourtant fini, après un premier refus, par être acceptée par son université. ( Bandler 1993, 2002, p. 74)

Retour au présent

Résumons le glissement progressif raconté plus haut : les fondateurs de la P.N.L. sont passé d’une logique universitaire de recherche en linguistique, appliquée à la thérapie et destinée à la psychologie, à une logique de recherche en thérapie, hors université et destinée à la communication. Pour finalement choisir de stabiliser leur mouvement sur une logique de recherche en modélisation d’excellence, hors référence universitaire, et  destinée à tous les champs d’application possibles. Ce faisant, ils ont, de mon point de vue, donné priorité au positionnement de modélisateurs-formateurs sur celui de psychothérapeutes, et à la recherche  privée de modèles ” marque déposée” sur les liens de leur nouvelle discipline avec l’université et ses critères. Et la plupart des instituts qui les ont suivis ont fait de même.

Aujourd’hui,  cette re-lecture des toutes jeunes années de la P.N.L. donne à méditer sur  ” l’art de fonder écologiquement une nouvelle approche thérapeutique “, et sur les conséquences à assumer pour les générations suivantes.
Jusqu’où la liberté prise vis-à-vis des courants de recherche universitaires existants a-t-elle été un bien ? N’est-elle pas devenue une autre forme d’enfermement ? Peut-on y voir un conflit, inévitable mais non résolu, entre liberté de penser, de créer, et de financer ses propres recherches et reconnaissance institutionnelle ? Etait-il possible aux fondateurs de rester reliés à une ” science existante “, alors que les sciences cognitives, elle-mêmes,  se cherchaient encore ? ( Gardner,1985,1993)

Cette histoire donne également à réfléchir sur le thème de ” comment se forme un psychothérapeute ?” , “de qui s’autorise t-il à exercer ? “, “quelle part donne-t-il à sa propre psychothérapie dans son cursus ?” et “quel système de contrôle ou supervision externe fiable a-t-il ? “. Entre pièges de l’auto-référence et pièges du formatage, ces questions, qui ne concernent pas que la P.N.L., placent la formation de tout psychothérapeute dans un travail de conjonction entre référence interne et référence externe. Pouvoir évoluer dans un cadre suffisamment flexible pour ne pas étouffer sa créativité, mais suffisamment solide pour le protéger des ombres spécifiques à ce métier , notamment celles de l’omnipotence.

Une autre riche piste de réflexion qu’ouvre l’histoire particulière de la P.N.L. est celle des liens entre psychothérapie et marketing.
Après 25 ans de pratique en tant que psychothérapeute, et de réflexion sur l’éthique et les phénomènes idéologiques, je trouve qu’aujourd’hui en France le développement d’un courant spécifique de psychothérapie en P.N.L. pâtit considérablement de cet amalgame permanent avec la “P.N.L. d’entreprise”.

En France, la spécificité réelle de la P.N.L thérapeutique demeure encore très mystérieuse, sauf pour quelques spécialistes . Avec encore trop peu de travaux critiques sur ses propres fondations, sa reconnaissance comme objet de recherche universitaire “non tabou” reste difficile. Et son succès commercial accentue encore plus son rejet scientifique.
Parfois vécue comme injuste par les professionnels qui ne se reconnaissent pas dans cette image ambiguë, cette  position paradoxale peut être vue comme occasion de travailler un héritage de valeur, certes,  mais trop pris entre produit magique et produit marketing, afin d’en extraire l’essence.

Je ne pense pas que les groupes mixtes de formation (mêlant thérapeutes, managers  et formateurs, par exemple.) permettent de faire émerger la différence entre une véritable pratique professionnelle de la P.N.L. thérapeutique et ses autres utilisations (conseil, communication, coaching, etc.).

La profondeur du travail sur soi préalable, le cadre éthique, les modes de validation, et surtout le rapport à l’inconscient et à la pathologie, pour ne citer qu’eux, sont bien trop  différents pour chacun de ces domaines.

Je défends ici, on l’aura compris, la nécessité d’un retour à une logique de recherche universitaire en psychologie, dans laquelle la P.N.L., comme d’autres approches thérapeutiques d’ailleurs, pourrait trouver la place pour un véritable travail théorique et épistémologique à partir de sa réalité clinique.Beaucoup d’aspects restent à formaliser : sa (ses) topique(s), sa théorie du changement, sa psychopathologie, ses modes de validation, etc.

Il reste également à rendre intelligible la diversité des pratiques thérapeutiques en P.N.L. aujourd’hui : ses utilisations mono-disciplinaires ou intégratives, celles issues plutôt de son aspect comportemental, celles de sa dimension cognitive. Les différences dues à ses articulations à une théorie de base gestaltiste, ou existentielle, voire psychanalytique…Ses pratiques en thérapies brèves et celles en thérapies approfondies, etc,  toutes variantes qui sont le résultat de la grande plasticité de l’outil, mais ne facilitent pas sa classification.
Comme un retour cyclique sur le temps des fondations, les professionnels de la psychothérapie en P.N.L. semblent invités  à reprendre aujourd’hui  ce travail de lien entre P.N.L. et psychologie. Je crois que cela se fera autant par la qualité scientifique des recherches mises en place que par un travail critique approfondi sur ce que l’histoire de ce mouvement nous aura appris.

Malika Belkassan, Psychothérapeute.
malika.belkassan@free.fr

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A lire également :

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SINELNIKOFF Nathalie.  1993.- Les Psychothérapies. Inventaire critique.   Paris : ESF Ed. Chapitre: La programmation neuro linguistique,p.191.

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