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Propos recueillis par Antoine PERRAUD, producteur de “Tire ta langue !”, lors de la diffusion en direct de cette émission sur France-Culture le 30 mars 2006″, et reproduits avec son aimable autorisation.

Antoine PERRAUD : La première fois que j’ai entendu parler de PNL, j’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’Edwy PLENEL chroniqueur sur cette antenne et ancien directeur de la rédaction du Monde. La personne qui m’en parlait était dans l’auto motivation, dans l’auto prise en charge, ce que les « franglaisants » appellent coaching, cette technique de formation inspirée de l’entraînement sportif et persuadée que le plus redoutable des adversaires, c’est soi-même. Et c’est là qu’il fut question de la PNL, la Programmation Neuro-Linguistique. Ses détracteurs pointent, au mieux son charlatanisme, au pire ses allures sectaires, nous y reviendrons en fin d’émission. Celles et ceux qui la défendent et accessoirement en vivent, estiment que la PNL a mis à jour un ensemble d’outils simples, efficaces et pragmatiques pour améliorer des compétences linguistiques, cognitives, comportementales, ou émotionnelles, dans des domaines aussi divers que l’enseignement, l’entreprise, le sport, la médecine. La Programmation Neuro-linguistique se prétend outil de connaissance de soi, et de développement personnel, véritable mode d’emploi du cerveau : négocier, apprendre, former, communiquer, évaluer, évoluer, choisir, diriger et se diriger, sont les maîtres mots de la PNL.

Avec nous, en direct et en duplex depuis un studio de la RTBF à Bruxelles, une pièce maîtresse de la PNL, en la personne de Monique ESSER, professeur émérite, de psychologie et des sciences de l’éducation à l’université de Louvain.

Alors Monique ESSER, j’imagine que vous avez dû contribuer à une double acclimatation de la PNL, d’abord européenne, et ensuite francophone, puisque la Programmation Neuro-Linguistique est née quelques années après 1968, dans deux cerveaux pétris de contre-culture de la côte ouest des Etats-Unis d’Amérique, ce qui fait d’ailleurs une troisième acclimatation fort spectaculaire de l’utopie contestataire à l’entreprise normative.
Alors aidez nous à cerner l’incernable PNL, Monique ESSER.

Monique ESSER : Bonjour Antoine PERRAUD. Je dirais que la double acclimatation européenne et francophone, s’est faite effectivement au début ou je me suis formé. Mais nous, nous avions heureusement d’excellents traducteurs qui ont pu très vite introduire un vocabulaire adapté à la langue française. Maintenant il reste pas mal de problèmes, notamment à cause de la référence à la linguistique, car certaines figures linguistiques très fréquentes en français ne le sont pas en anglais et inversement. Bon, ça c’est pour l’aspect européen francophone. Pour l’aspect acclimatation à l’entreprise normative, personnellement je le regrette beaucoup, parce que la PNL a été conçue, et vraiment c’est un projet de fond, comme une psychothérapie qui avait le souci d’utiliser les connaissances nouvelles et notamment la science des modèles, la linguistique générative et toute sorte d’autres approches très épistémologiques, pour créer une thérapie de notre époque. De fait elle a réussi et elle était dans la mouvance très contestataire, notamment contestation de la science installée, avec d’un côté le behaviorisme, et de l’autre la psychanalyse. C’était deux piliers qui avaient droit de cité automatiquement. Les fondateurs de la PNL, GRINDER et BANDLER, ont fait leur invention en marge de l’université, un pied dedans par GRINDER et un pied dehors par BANDLER, qui lui avait quitté l’université, la trouvant trop conservatrice.

Antoine PERRAUD : C’était l’université de Santa Cruz ? Et John GRINDER avait à peu près 22 ans ?

ME : non 32 ans, en fait il était déjà jeune professeur.

AP : Et Richard BANDLER était étudiant ?

ME : Oui il était étudiant en quatrième année, contestataire depuis le secondaire et il avait 22 ans. John GRINDER est passé à un monde contestataire et très libertaire, parce qu’un des maîtres à penser qui a inspiré la PNL était Noam CHOMSKY, qui se dit socialiste libertaire encore aujourd’hui. Et c’est vrai que c’est le problème qui s’est passé aussi en Europe après mai 68. Nous avons aujourd’hui une société qui était totalement imprévisible par rapport aux idéaux et aux rêves de la jeunesse de cette époque et qui n’a absolument plus rien à voir avec ce que nous voulions à ce moment-là.

AP : Oui là je pense qu’il n’y a pas besoin de faire un dessin.

ME : Et alors l’acclimatation à l’entreprise, moi je la déplore car je pense qu’on ne peut pas transférer des savoirs thérapeutiques, sans les retravailler et les repenser dans le cadre des métiers. C’est pour cela que je soutiens la profession de psychothérapeute, parce que je crois que les professions créent des mondes particuliers avec des connaissances, des pratiques et une éthique spécifiques. Quand vous transférez un savoir comme celui-là dans l’entreprise, il faut repenser aux limites car dans ce contexte, la PNL est d’une applicabilité beaucoup plus restreinte. Sans cela, on retrouve cet aspect que vous avez mis en évidence, cet aspect de « gouverner et diriger ». Un thérapeute ne gouverne pas et ne dirige pas.

AP : Les auditeurs comprendront que nous avons en duplex à Bruxelles, une universitaire et non une business woman pour parler franglais. Je voudrais donc, Monique ESSER, que l’on puisse envisager deux ou trois idées générales avant de faire une leçon de chose et des travaux pratiques grâce à vous, en examinant certains moments d’une cure, je ne sais pas si le mot est le meilleur, vous me le direz. Mais d’abord la PNL s’intéresse, et là je cite, à la programmation crée par les interactions entre le cerveau « neuro », le langage « la linguistique », et le corps, qui produisent aussi bien des comportements efficaces qu’inefficaces. Alors efficace, inefficace, cela est curieux car la première partie de la phrase semble presque un truisme : le cerveau, le langage, le corps, et puis après on introduit tout de suite quelque chose de plus normatif avec efficace, inefficace. Pourriez-vous expliquer cette phrase que l’on trouve la plupart du temps lors de présentations de la PNL ?

ME : Donc c’est vrai que c’est un truisme quand on le dit comme cela, mais dans les faits, il y a énormément de gens qui font de la PNL une science cognitive pure, c’est-à-dire désincarnée. Et il y a tout le problème du dualisme corps-esprit qui imprègne la mentalité et qui fait que ces trois mots associés entre eux, sont en fait dissociés dans la manière de la transmettre et de la pratiquer. Donc ça c’est déjà une chose. Il y a toujours une grande distance entre la coupe et la lèvre. Cela est déjà un fait. L’autre aspect de la question est « efficace ». Je me rends compte avec le temps que l’efficacité dont on parle en PNL est en rapport avec ce que la personne désire. Par exemple je souhaite rester patiente quand mon fils fait telle ou telle bêtise, et si j’y arrive, je suis efficace. Donc c’est au regard des objectifs que je poursuis. Bien entendu il y a une dimension très importante de la PNL qui tient compte de l’environnement social de la personne. Il est donc vrai que l’on vise une efficacité, qui tient compte de mon environnement et des liens que j’entretiens avec les autres. Donc si mon efficacité consistait à passer comme un bulldozer à travers tout, ce ne serait pas de l’efficacité. Maintenant j’emploie plus le mot effectivité, car j’ai un peu étudié la science des modèles et j’ai approfondi cette question que présupposent les modèles : est-ce que j’arrive à faire ce que je prétends faire ? Est-ce que j’atteins ce que je prétends atteindre ? C’est plus dans ce sens là qu’il faut l’entendre, mais c’est toujours par rapport au désir de la personne.

AP : Mais pourrions-nous dire que nous faisons tous, comme Monsieur JOURDAIN faisait de la prose, que nous faisons tous de la PNL sans le savoir, car après tout, être efficace ou ne pas s’énerver quand l’enfant refuse de prendre son bain, ce sont des choses que nous vivons quotidiennement, Monique ESSER ? Et de ce point de vue, je me demande si ce n’est pas un truisme amélioré, mais nous allons en savoir plus grâce à vous tout à l’heure. Par exemple, vous expliquez dans un de vos écrits, en parlant du modèle du monde : « le modèle du monde d’une personne est l’ensemble des représentations mentales qu’elle construit pour se représenter ses expériences ». D’accord, et il y a une phrase qui revient continuellement à propos de la PNL et que je vous demanderais de commenter c’est « la carte n’est pas le territoire. »

ME : Oui, c’est un gros morceau, et je serais tenté d’y répondre à deux niveaux. Il y a d’abord le modèle PNL qui est le modèle idéal théorique qu’on propose aux thérapeutes de mettre en oeuvre. A ce niveau, est déjà une carte. Et il y a également tout un processus qui n’a malheureusement jamais été travaillé, ni théorisé, qui consiste à passer de la carte au territoire. Le territoire c’est la rencontre réelle avec des gens réels. C’est le travail réel dans un environnement réel. Là, il y a un énorme problème, et je crois qu’il faudrait absolument thématiser ce fameux passage. Et puis il y a l’idée qui est que je vois le monde à travers ma propre carte. Je ne suis pas consciente que c’est une carte. Ce que je pense me paraît évident, mais en réalité, c’est une représentation, une perception plus ou moins filtrée. Ces faits sont archi connus. Ils ont été établis par la psychologie de la perception, et celle-ci a énormément influencé la PNL. Donc au second niveau, la PNL souligne que j’oublie le caractère relatif de ma carte. Dans un débat, la plupart du temps, quand on a un dialogue de sourd, c’est que chacun ignore qu’il n’a qu’une carte du monde parmi d’autres et il ne s’interroge même pas sur la différence entre la carte du monde de l’autre et la sienne. Et on aurait un dialogue beaucoup plus fécond si on travaillait sur cette différence plutôt que de travailler à l’affirmation de sa propre carte. De ce point de vue là, c’est très fondamental. Dire cela a l’air d’un truisme, mais à nouveau, tenir compte de cela au quotidien est vraiment difficile.

AP : Et bien, Monique ESSER, je vous propose précisément de passer de l’idéal théorique à l’illustration pratique et nous allons voir comment vous avez pu parler, faire parler, en sept séances d’une heure trente à deux heures, une jeune fille de 24 ans étudiante en quatrième année d’université que nous appellerons ISA. Nous allons voir quelques moments de ces sept séances et je vous propose de commencer par quelques instants de la première séance, telles qu’ils ont été décryptés en procédant évidemment à quelques coupes, où vous lui parlez, où elle vous répond, et ce dialogue nous est restitué en direct en studio par Joana NIZARD.

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ME : Pouvez-vous d’abord me rappeler ce qui vous a poussé à venir me voir ?

ISA : Je dirais que pour le moment ma vie est désorganisée.

ME : Désorganisée ?

ISA : Bien oui, moi je la ressens comme cela ! Je ne parviens de moins en moins à faire face à la vie avec mon copain et j’ai perdu confiance en tout le monde, et même en mes copines. Je suis jalouse à propos de mon ami, je suis tout le temps aux aguets à son sujet, je ne le laisse plus rien faire sans qu’il me dise ou il va et avec qui. Je le soupçonne tout le temps !

ME : Et est-ce que cela c’est tout le temps passé comme cela entre vous, ou est-ce qu’il y a eu une certaine évolution ?

ISA : Oui la situation a évolué avec des hauts et des bas et en s’aggravant. Seulement j’ai toujours été possessive.

ME : Et qu’est-ce qui vous fait dire que vous êtes possessive ? Comment cela se manifeste dans ce que vous faites ou pensez ?

ISA : Je le harcèle par une foule de questions quand il rentre, je me tourmente sans arrêt quand je sais qu’il est avec une autre fille, même si c’est pour travailler ou par amitié. J’imagine qu’il se passe quelque chose entre eux quand je ne suis pas là. C’est par exemple ce qui s’est passé l’autre jour quand il est allé chez la dentiste, une femme, et je l’ai tellement questionné à son retour qu’il ne voulait plus me voir. La même chose était arrivée avec un autre garçon et cela a fini par une rupture, à peine après trois mois. Je n’ai jamais été seule très longtemps. Depuis mes quatorze ans, j’ai toujours été avec un garçon.

ME : Cela veut dire que la rupture n’est pas un type d’expérience nouvelle pour vous ?

ISA : C’est même pire car mes ruptures ne se limitent pas à mes petits amis et en fait d’une façon générale, je n’ai pas beaucoup d’amis car je n’ai pas confiance, et même avec plusieurs copines, cela a fini comme cela et c’est toujours moi qui romps. J’ai l’impression que cela vient du fait que j’ai toujours beaucoup donné et que je n’ai jamais beaucoup reçu Et alors quand je m’en rends compte, je me fâche, j’arrête tout, et je romps. C’est encore comme cela que cela pourrait se passer avec le garçon que j’ai maintenant.

ME : Donc dans ces ruptures, une des choses qui compte beaucoup pour vous, c’est que vous avez le sentiment de donner beaucoup plus que vous ne recevez et cela autant avec vos petits amis qu’avec vos copines ?

ISA : Oui, par exemple la semaine dernière mon copain était allé porter sa voiture au garage. Il a pu attendre dans la mienne parce que je lui avais prêtée pour qu’il se mette à l’abri, mais aussi pour qu’il puisse rentrer. Comme je ne le voyais pas revenir, je me demandais ce qu’il faisait et je me suis fait tout un film dans la tête, en pensant qu’il me cachait quelque chose et qu’il allait me quitter.

ME : A travers tout ce que vous dîtes, vous avez l’air de ne pas pouvoir vivre sans que votre ami soit physiquement auprès de vous, et en même temps, j’ai le sentiment que vous avez peur qu’il vous fasse mal, qu’il rompt avant vous, et même qu’il vous abandonne.

ISA : Oui j’ai tout le temps peur, même quand il est là !

ME : Je vais peut-être vous surprendre, mais je me demande quel service cette manière de penser et d’agir pourrait bien vous rendre ?

ISA : Au fond, quand j’y pense, je crois que je me prépare à ce qui va très probablement m’arriver. C’est peut-être pour cela que je ne profite même pas de sa présence quand il est là et que cela fini par une rupture.

ME : Comment expliquez vous cela ?

ISA : Parce que après avoir donné ma confiance à quelqu’un, j’aime que ce soit très très fort. Je ne veux pas être dans le cas ou j’imaginerais que tout est parfait, mais … en fait on m’a caché tout ce qui se passe. Par exemple l’autre jour nous devions aller à un vernissage et avant de partir, il est allé prévenir sa voisine ! Pourquoi a-t-il du faire cela ?

ME : Et qu’est-ce que vous avez éprouvé à ce moment-là ?

ISA : Mon coeur battait super vite, je me sentais inquiète et plein d’idées se bousculaient dans ma tête et j’ai perdu tout à fait confiance.

ME : Cela vous fait vraiment souffrir. Personnellement j’ai l’impression que vous avez vraiment très peur de quelque chose qui ressemble à de la trahison. Est-ce que c’est ça, ou est ce qu’il s’agit d‘un autre sentiment ?

ISA : Oui, je n’ai plus du tout confiance en lui

ME : Est-ce que vous éprouvez souvent ce sentiment et que vous avez l’impression de l’avoir vécu dans d’autres situations, ou alors avec d’autres personnes, notamment quand vous étiez petite ?

ISA : Oui c’est arrivé très souvent, j’avais l’impression d’être trompée et je ne pouvais plus faire confiance.

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AP : Monique ESSER, à entendre ce dialogue, on a l’impression qu’elle, ISA, est dans la prédiction auto-réalisatrice, j’imagine, et que vous, vous dirigez énormément l’entretien. Et je crois que vous vous en expliquez, car vous voulez la libérer des sentiments paralysants qui la rendent trop vulnérable. Mais la PNL là-dedans ? Pour résumer, vous me direz si je vais trop loin, mais c’est mettre à jour autrui, dans ce cas ISA, lors d’un un entretien, grâce à une écoute d’ordre phénoménologique de tout ce qui s’exprime verbalement et non verbalement. Est-ce que nous sommes au coeur de cette séance, comment on appelle cela ? On les appelle les clients et non les patients ?

ME : Oui on parle de séance, on ne parle pas de cure mais de psychothérapie tout simplement. Et entre clients et patients, là on saute d’un pied sur l’autre, car le mot client a été introduit par ROGERS, qui est vraiment le thérapeute humaniste par excellence. Mais malheureusement, avec la marchandisation générale du monde, le mot a changé de signification, et depuis, on est un peu coincé avec le mot « client ». En fait ROGERS a introduit cette distinction car il voulait montrer que le client a le droit d’évaluer le service qu’il est venu chercher. Donc c’était une position éthique de sa part, mais tout cela a complètement changé de signification. Un peu comme l’option libertaire s’est transformée, comme vous dîtes, en entreprise normative.

AP : Monique ESSER, à la fois vous tendez des perches et à la fois vous guettez, vous êtes dans ce double mouvement ?

ME : Oui, la première chose est de faire expliciter l’expérience que la personne évoque et cela implique effectivement une démarche active. On part des mots qu’elle emploie, de la façon dont elle parle, des gestes qu’elle fait et on l’interroge à partir de là. Donc le travail se fait à partir du patient. C’est vrai que dans l’extrait que vous avez lu, il y a autre chose que je fais qui est de rechercher les processus qui ont l’air répétitifs, et je le vérifie, donc si cela se passe dans différents contextes. Et puis je cherche comment ces processus la limitent, la paralysent, la poussent à la répétition. Donc c’est la fameuse question de la répétition que Freud avait bien identifiée. Mais en PNL, on cherche à travers les mots du patient, et dans la façon même dont il fait le récit de son expérience. Et on cherche aussi au niveau non verbal.

Par exemple, dans la séance, elle pleure beaucoup. Il y a donc un aspect émotionnel important. Or, elle ne nomme pas ses sentiments, et moi j’essaye de les lui faire nommer. Car une même vague de sentiments n’a pas toujours la même signification. Une femme peut pleurer parce qu’elle est en colère, mais aussi pour tout autre motif. Les larmes en soi ne suffisent pas à préciser ce qu’elle éprouve. Donc il y a effectivement un côté enquête qui est très important. Evidement, il y a beaucoup de passages du dialogue qui ont été éliminés parce que vous deviez raccourcir, ce qui a réduit les moments de reformulation ou d’accompagnement. Ici vous donnez un concentré du côté investigation, si je peux dire, du travail du thérapeute.

AP : Qu’est ce que c’est la reformulation et l’accompagnement ?

ME : Reformuler, c’est redire ce que la personne vient de nous dire, parfois littéralement dans ses mots, parfois un peu comme à la mode de ROGERS, en globalisant quelque peu. Donc moi, j’ai redis plusieurs fois ce qu’elle venait de me dire, par exemple « donc vous êtes jalouse et vous devez tout le temps le surveiller ». Je ne me souviens plus les mots employés. Et voilà ce qu’est la reformulation. C’est plus un accompagnement de ce qu’elle est en train de dire. Et cela sert à beaucoup de choses et notamment à se rendre compte qu’on est écouté et que l’écoute de l’autre est exacte par rapport à ce que l’on a dit. Cela construit la confiance de façon très puissante.

AP : Monique ESSER, une question me vient à l’esprit : la reformulation dans le sens du psittacisme, la pratique des perroquets, cela peut être quelque chose d’aliénant, confère la Corée du Nord. En quoi la reformulation libère, dans le cadre de la PNL ?

ME : En quoi cela libère ? D’abord cela me permet, à moi thérapeute, de vérifier si j’ai bien compris, ce qui est quand même élémentaire et essentiel ! Et cela permet à l’autre de savoir si il est compris ou non. Et s’il n’est pas compris, il réajuste si vous faites de la reformulation de façon très ouverte. Il vous dira par exemple « non, ce n’est pas tout à fait cela, ou oui c’est cela, oui c’est ce que je voulais dire, ce que je ressens ». Donc il y a tout un ajustement réciproque qui se fait de l’intérieur par ce moyen-là.

AP : Mais si on tombe dans des mains débonnaires, face à une écoute bénévolante qui fut sans doute la vôtre, parfait. En revanche, vous voyez les dangers, avec ce type de reformulation, de confiance à naître, à instaurer, vous voyez le danger si la PNL tombait dans des mains moins gratuites et plus axées vers la domination de l’autre ?

ME : Bien sûr, et il y a beaucoup de formes de domination de l’autre, y compris commerciales par exemple et c’est pour cela que je suis personnellement très opposée, et je l’ai toujours été, à un enseignement de masse de la PNL. Par ce biais, on a transféré la PNL dans des professions où des gens indélicats peuvent toujours abuser de la situation et créer une espèce d’asservissement volontaire, comme on a pu le dire. Et c’est pour cela que ces outils, si on les transfère ailleurs, doivent être accompagnés d’une éthique et d’une réflexion professionnelles, ce qui ne se fait malheureusement pas dans notre société.

AP : Et vous avez évoqué la gestuelle, le non verbal. Il y a des gens qui prétendent avoir instauré une science, comment les appelle-t-on, les gestuologues quelque chose comme cela ? Avec la PNL, on a l’impression que vous faites votre miel de différentes sciences ou de différentes techniques pour les incorporer et les agréger ?

ME : Oui mais je crois qu’il y a une grosse différence entre ce que vous appelez des gestuologues. Il y a des niveaux d’analyse très différents dans la gestuelle. Il y a des gestes qui font partie de rituels sociaux, par exemple, de la façon de dire bonjour etc. Il y par ailleurs toute une étude de la gestuelle qui est presque éthologique. Mais la gestuelle à laquelle s’intéresse la PNL, est uniquement celle qui est en rapport avec le vécu intérieur et les processus intérieurs d’une personne. Il y a notamment les fameux accès oculaires dont tout le monde parle comme d’un gadget, qui permettent de se rendre compte si la personne est plutôt dans une évocation mentale de type visuel, auditif ou kinesthésique, c’est-à-dire plutôt corporelle, car dans ces différents cas, elle va avoir des mouvements oculaires différents. Et le clinicien va capter cette information, sans nécessairement en parler à la personne, et enregistrer « tient elle fait plutôt des images ou elle s’entend parler, ce qui donne des informations sur le mode de fonctionnement de la personne.

AP : Est-ce que vous pourriez préciser un de ces petits points de cette grammaire oculaire ; Quand on lève les yeux au ciel, quand on regarde en haut à gauche ou qu’on va à droite… ?

ME : Cela veut dire qu’au moment ou la personne vous parle, elle a des représentations de différentes sortes, qui ne sont d’ailleurs pas que mentales, par exemple une représentation kinesthésique est corporelle. Le fait qu’il y a aussi des représentations physiques est une idée que la PNL a introduit. Cela signifie que quand je ressens quelque chose, j’ai une représentation physique de mon expérience. Habituellement on a réservé le mot représentation à des phénomènes purement mentaux, par exemple quand la personne est en train de se parler à elle-même. Et si le contexte s’y prête, je pourrais lui demander : « et qu’est ce que vous vous dîtes à ce moment-là ? ». Ce qui signifie que je vais ajuster ma question aux signes non verbaux qu’elle m’a envoyés, sans le savoir.

AP : Je vous propose maintenant, Monique ESSER, de passer au deuxième temps de cette valse, car il y a aura trois mouvements de psychothérapie. Nous sommes dans la deuxième partie de la deuxième séance, avec toujours ISA et vous, et c’est ISA qui parle en premier dans cet extrait que nous livre toujours en direct Joana LIZARD

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ISA : Au fond c’est toujours la même chose, je n’ai pas de volonté. Dans mes études, ou au sujet de mon poids, au début j’arrive à me motiver, mais au bout de deux jours, cela retombe et je ne fais rien.

ME : Dans ces cas comment faîtes vous pour vous motiver ?

ISA : Je me dis que je dois étudier ou que je dois maigrir !

ME : Et est-ce une bonne façon de vous parler ?

ISA : Oui je fais toujours comme cela

ME : Oui et en même temps vous reconnaissez que vous ne tenez pas plus de deux jours, vous ne savez peut- être pas que ce que nous obtenons de nous même peut dépendre sensiblement de la manière dont nous nous parlons. Il serait donc peut-être utile que vous trouviez d’autres façons de vous parler, pour que les mots que vous utilisez, vous aident à réaliser plus aisément ce que vous voulez.

ISA : Oui je voudrais bien réussir mon année

ME : Oui et il y a beaucoup de manière de s’aider dans ce domaine. Mais comme vous vous motivez en vous parlant, je vous propose de commencer par là. Tout à l’heure vous avez dit que le dialogue interne que vous utilisez habituellement commence par « je dois. »

ISA : Oui je crois que c’est vraiment une habitude chez moi.

ME : La première chose à vous demander, c’est de savoir si le pronom que vous avez choisi est bon ? Est-ce que le fait de vous parler en « je » vous convient, ou est ce que ce serait plus motivant de vous parler en « tu » ? « Tu dois étudier », en ajoutant par exemple votre prénom « ISA tu dois étudier ! », ou en passant par un « il faut, il faut que tu étudie ! Et pour que cela marche il faut le faire avec deux ou trois opérateurs différents.

ISA : Cela s’embrouille un peu !

ME : oui attendez, on va faire les choses une à une. Pour l’instant demandez-vous simplement si vous avez avantage à vous dire : « je dois étudier, je devrais étudier, je vais, je veux, je voudrais, je peux, et il faut ». Le mieux est de tester ces mots sur vous-même, maintenant, en les employant pour vous parler ici, de façon à trouver les opérateurs qui vous poussent le mieux à étudier.

ISA : Oui c’est vrai qu’il y a une différence entre ce que j’emploie et ce qui me motive. Ca c’est clair !

ME : Donc allez-y, testez les un à un et notez les résultats sur cette petite carte en précisant aussi quels sont vos sentiments à chaque fois.

ISA : J’emploie souvent le « je dois » et « il faut », mais cela ne me fait pas bouger, surtout le « il faut » qui reste une considération théorique. Les « je devrais et je voudrais » sont comme des voeux pieux. Par contre le « je peux », me fait du bien car je me sens libre et j’agis vraiment quand je me dis « je vais et j’ai choisi. »

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AP : Monique ESSER, sans nous le modéliser, expliquez nous ce qui se joue là, entre l’impératif et le conditionnel, entre la première et la deuxième personne du singulier et avec ces opérateurs modaux.

ME : C’est une découverte empirique. On s’est rendu compte que les gens se parlent beaucoup inconsciemment. C’est quelque chose qui avait déjà été établi par la psychothérapie cognitive à la fin des années 60. Mais cette approche travaillait sur le contenu : « qu’est ce que les gens se disent ? ». Tandis que la PNL travaille sur la forme : « comment se parlent-ils ? On se rend compte que la manière dont nous nous parlons nous influence beaucoup. Par exemple, les « il faut, je dois » produisent une pression interne de type « obligation ». Par contre, « je peux, je voudrais, j’ose », ouvre la porte à des possibles. Comme ISA se motivait entièrement par un dialogue interne – et c’était très frappant du fait que ses yeux étaient toujours tournés dans une même direction-, je lui ai proposé de travailler son dialogue interne.

Ceci dit, j’ai été un peu embarrassé par le débit de votre lectrice, pour cette partie-là, car le texte était dit sur un ton extrêmement directif, alors que moi je ne parle pas vraiment comme cela à mes clients. Donc, même s’il y a une directivité très importante sur la procédure en PNL, cela n’implique pas un ton autoritaire. Et je fais la remarque exprès, parce que l’être humain est terriblement sensible à la forme. C’est une chose que l’on a méconnu très longtemps dans la description du travail thérapeutique, et dans la forme il y a les modalités de la voix, il y a le rythme, la façon de faire…

AP : Monique ESSER, faisons un autre exercice pratique. Comment vous, même si vous n’avez pas le texte sous les yeux, vous en connaissez le sens, comment vous êtes-vous adressé à ISA ? Car effectivement Joana LIZARD a lu le texte tel qu’il était écrit et que vous avez trouvé trop directif. Pourriez-vous nous donner un exemple, car là vous me parlez et vous êtes vous à Bruxelles et moi à Paris et nous ne nous voyons pas et vous employez le ton idoine face à un microphone. Mais si j’étais en face de vous, que je m’appelle ISA et que nous sommes au cours d’une psychothérapie, comment parleriez-vous, pourriez-vous en quelques secondes nous le faire entendre ?

ME : Moi je dirais que le tempo serait déjà différent et quand je lui dis « je vous propose d’explorer comment vous vous parlez » ou « est-ce une bonne façon de vous parler», je le dirais plutôt avec le ton que j’ai maintenant. Cela me paraissait un peu gendarme. Mais si je dis cela, c’est peut-être simplement parce que c’est contraire à mes idéaux personnels.

AP : C’est peut-être de ma faute, j’ai demandé à Joana LIZARD de lire assez vite pour que les textes ne prennent pas trop de place à l’antenne, et quand on lit vite on a tendance à heurter davantage son propos.

ME : Mais cela montre combien nous sommes tous, sans le savoir, extrêmement sensibles à la forme et c’est un des niveau essentiel que la PNL a travaillé. Quand on dit qu’elle travaille sur la forme, on parle du « comment les choses sont-elle faites, comment les choses sont-elles dîtes ? ». Je ne dis pas que le contenu n’a pas d’importance -on ne peut pas se passer du contenu- mais je dis qu’il s’agit du même rapport qu’entre syntaxe et sémantique. La PNL travaille sur l’aspect syntactique du discours et de l’action Elle cherche la structuration, elle cherche à savoir comment les gens organisent leurs pensées et leurs actions.

AP : Vous avez, Monique ESSER, tout à l’heure en début d’émission, cité CHOMSKY. En quoi la PNL s’est-elle servie, ou emparée, ou inspirée, de la grammaire transformationnelle de CHOMSKY ?

ME : Il faut en parler à deux niveaux. Les tout premiers outils forgés par la PNL, ont exploité des figures linguistiques nées de la grammaire générative de CHOMSKY. Mais moi je pense, avec du recul, que l’esprit dans lequel la PNL a conçu l’approche de la thérapie est le même que l’esprit dans lequel CHOMSKY a étudié la langue, c’est-à-dire quels étaient les processus internes qui sous tendent la façon dont les gens parlent et agissent. En PNL cela concernait, à la fois les actions, les sentiments et les pensées. Celle-ci étudie des états et des propriétés de l’esprit qui se manifestent dans les mots et qui témoignent de la façon dont une personne structure sa pensée et ses actions. Par exemple ISA évoque tous ses petits amis et commence par le tout premier. Cela me donne des indications, que je vais vérifier : elle est tournée vers le passé, elle est absolument consciente de la répétition et elle organise le monde par de l’information. Il faut tenir compte de cela pour bien travailler avec elle. Et c’est en partie pour toutes ces raisons que j’ai exploré son dialogue interne plutôt que d’autres choses, parce que pour elle, c’était un mode de communication qui lui convenait.

Avec d’autres personnes, je ne le ferais pas, même si j’entends la même chose. Je travaillerais peut-être beaucoup plus les sentiments, ou les croyances. En fait, le thérapeute travaille en fonction de ce qui se présente et des processus qui paraissent important dans son interprétation.

AP : Et bien je vous propose d’écouter le troisième moment. Là nous sommes dans la dernière partie de la cinquième séance, et là vous prenez à nouveau la parole, ISA vous répond, et c’est toujours Joana LIZARD qui lit.

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ME : Alors ISA, c’est la dernière étape de notre travail, et très souvent quand on regarde la situation de son soi plus jeune avec les yeux de maintenant, on se dit « Oh que c’est bête, maintenant je pense autrement ! »

ISA : Ben oui !

ME : Et à cause de cela, on en veut souvent à la plus jeune qui est là-bas. Et on se dit « mince, c’était aussi simple, espèce de nulle ? ». Je ne sais pas si c’est votre cas par rapport à elle ?

ISA : Oui oui, c’est vrai, je suis fâchée sur elle.

ME : J’aimerais donc quelque part, pour que vous acheviez le travail, vous la regardiez un peu, et qu’au fond, si vous vous rendiez compte de ses 11 ans, de ce qu’elle savait à l’époque, strictement de son point de vue et pas de votre point de vue de maintenant, vous seriez prête à accepter, qu’au fond, elle a fait du mieux qu’elle pouvait à l’époque.

ISA : A l’époque ?

ME : Oui à l’époque. Est-ce que vous seriez prête à admettre cela ?

ISA : Ben non, ben oui, non … !

ME : A l’époque compte tenu de ses connaissances, elle ne pouvait pas faire autrement, du fait du manque d’expérience qu’elle avait…

ISA : A ce moment-là oui bien sûr !

ME : Est-ce que vous pouvez la regarder là-bas et peut être lui dire que quelque part, vous admettez qu’elle a fait du mieux qu’elle pouvait et que vous ne lui en voulez pas trop.

ISA : Oui je peux le dire. Oui je peux le dire !

ME : Donc compte tenu de son point de vue, est-ce que vous seriez prête à ne plus lui en vouloir ?

ISA : Bien sur !

ME : Mais vous faîte cela avec condescendance, et vous vous dîtes, bon allez je te pardonne quand même !

ISA : Bon, oui, je vais attendre un peu, je ne sais pas, oui elle est effectivement jeune.

ME : Ne lui dîtes pas pour me faire plaisir ?

ISA : Bien sur que non, bien sur elle est jeune, même petite, je le reconnais. Oui je peux lui parler.

ME : Elle est jeune, même petite et vous pouvez lui parler. Et elle est un peu inexpérimentée, un peu comme dans un rêve ou un conte de fée.

ISA : Oui c’est vrai elle veut que tout soit beau et qu’on s’aime.

ME : Et au fond, vous pouvez admettre que c’est une partie de vous qui est très importante.

ISA : Oui bien sur !

ME : Et qui a quand même joué un grand rôle dans votre vie.

ISA : Enorme.

ME : Et qui finalement vous a aidé à avoir une belle enfance. Tout ça de son point de vue, limité bien sûr.

ISA : Oui

ME : Pensez y vraiment, et dîtes-moi quand vous vous sentirez un peu plus réconciliée avec elle.

ISA : Ben, oui, c’est vrai, elle a essayé que cela dure le plus possible.

ME : Est-ce que vous êtes prête à comprendre son point de vue, même s’il a été gênant par la suite, et que vous avez du le rejeter ? Au fond elle croyait vous faire du bien. Et si tout est au point pour vous, j’aimerais que d’une façon ou d’une autre, vous la réintégriez à l’intérieur de vous, que vous la mettiez quelque part dans votre corps et que quelque part vous l’appréciez et qu’en même temps, vous la sentiez quelque part en vous.

ISA : Oui elle est là

ME : Profitez de ces retrouvailles car cette partie a appris beaucoup de chose au cours de ce travail, ce qui va lui permettre de participer à nouveau à votre vie.

******************

AP : Si nous étions à la télévision, nous aurions vu des choses Monique ESSER. Quand ISA dit qu’elle est là, elle est là et montre son coeur. Et quand vous lui dîtes « on en veut à la plus jeune qui est là bas », vous faîtes signe en direction de l’image d’ISA dans sa prime jeunesse. Et du coup, ce qui paraissait mystérieux à l’époque, s’éclaire à la lecture. Donc il y a ISA petite. Il y a une sorte d’auto retour, par vous guidé, Monique ESSER, vers une sorte de vert paradis.

Je parlais de CHOMSKY et de sa grammaire transformationnelle. Est ce que là il n’y a pas aussi une façon d’acclimater à la psychothérapie quelque chose de linguistique au départ chez CHOMSKY, ce qu’il appelle par exemple la structure de surface et qui pour vous est censé, je cite, aider le sujet à retrouver son expérience sensorielle initiale et enrichir son modèle du monde. Est-ce que là, on n’assiste pas à l’un de ces passages incroyables de la PNL qui m’apparaît comme une sorte de gare de triage, Monique ESSER ?

ME : En ce qui me concerne, j’aurais plus parlé de thérapie au sens strict. Car au fond ici, nous sommes dans la dernière phase d’une intervention relativement complexe, où pour travailler une part de soi qu’elle rejette, on demande à la personne de s’en faire une représentation, et puis de déplacer cette représentation dans l’espace de la pièce, pour qu’elle soit à un endroit aussi neutre que possible, puisqu’il s’agit d’un traumatisme. Donc le texte lu est la fin d’un travail sur un traumatisme. Et en fait ce qui est décrit dans l’extrait que vous avez lu, c’est le moment où, à la fin d’une exploration du vécu de ISA, on a introduit des ressources et des dissociations pour mettre fin au clivage qui l’empêche de résoudre le traumatisme. C’est tout à fait étonnant et c’est une énigme, au sens strict du terme, sur laquelle la PNL a fait des découvertes majeures, sans avoir malheureusement poursuivi ses recherches : nous projetons constamment dans l’espace nos images mentales et la localisation de ces projections peuvent intensifier les émotions et les problèmes qu’elle suscite.

En plus il y a des parts de nous que nous rejetons. Ca se passe comme pour un arbre dont on aurait enserré une branche, et où la sève ne coulerait plus. Et tout le travail que je fais dans l’extrait correspond au moment où je l’invite à se réconcilier avec cette part d’elle-même pour pouvoir la réintégrer. Et vous allez me demander pourquoi j’insiste comme cela ? Parce que, une fois que vous avez mis au jour ce processus, vous ne pouvez pas le laisser en l’état. Je peux raconter très rapidement une expérience qui m’est arrivée tout au début de ma pratique. A l’époque j’ai été confrontée à une personne qui ne voulait pas réintégrer une part d’elle-même, qu’elle ne voulait ni voir, ni reconnaître et accepter. Je n’ai donc pas insisté et le résultat a été qu’elle a louché durant deux jours. Et vous pourriez me dire « vous êtes vachement directives ! ». Je réponds : effectivement la PNL est directive sur la procédure, car à partir du moment où vous avez mis au jour un problème, vous devez travaillez à le résoudre, il n’y a pas d’autres questions à se poser. C’est comme le médecin, il ne remet pas le même pansement sur un abcès, il travaille à soigner l’abcès.

Un autre élément important à mentionner ici est que ce travail se fait en usant d’une voix de type hypnotique, donc avec une tonalité plus basse, un tempo plus lent, « prenez le temps qu’il vous faut, regardez là bien, franchement…de son point de vue … ». Il y a donc toute une progressivité qui est favorisée par une voix hypnotique. Parce que la PNL doit beaucoup à Milton ERICKSON. Elle a formalisé la partie communicationnelle de son travail et permet de travailler à partir du conscient sur l’inconscient. C’est une thérapie du passage permanent entre le conscient et l’inconscient, entre le mental et le corporel. Tous ces découpages-là ne sont pas pertinents pour elle.

AP : Votre protocole thérapeutique aboutit donc, Monique ESSER, à une sorte de recadrage spatial qui aboutira à ce que le sujet ou le client se sente à nouveau désiré, désirable et sûr de soi-même ?

ME : Non, c’est surtout qu’il sera avant tout réconcilié avec lui-même. Il y a une part importante de la PNL qui a trait au développement et à une construction positive de la relation à soi. Un nombre incroyable de personnes souffrent parce qu’elles ont une mauvaise relation à elles-mêmes. Il ne s’agit pas de se trouver beau, gentil, et adorable tout le temps, mais d’assumer ce que l’on est, et d’avoir un lien et dialogue positifs avec soi même, et cela fait partie du même tableau. Je crois qu’une des forces de la PNL est d’avoir développé les moyens d’établir la relation à soi de façon constructive.

AP : Et que devient Programmation ?

ME : C’est la métaphore de l’informatique qui a inspiré la PNL. Celle-ci est apparue en Californie, au moment ou tout le monde montait son petit ordinateur dans son garage. Or comme le soulignait encore CHOMSKY, il n’y a pas très longtemps, dans l’histoire des sciences, comme à l’époque des automates de VAUCANSON, on a toujours exploité les inventions comme des métaphores de l’esprit humain, on a pensé toutes les machines complexes comme des images sur l’esprit humain. On a aussi dit cela de Freud en soulignant qu’une partie de l’appareil psychique avec le refoulement etc., était à l’image des machines à vapeur de son époque. Bien entendu, je ne vais pas réduire la psychanalyse à cela comme on ne va pas réduire la PNL à l’informatique, évidemment. Il n’empêche que ces rapprochements stimulent les chercheurs et tous ceux qui cherchent à comprendre l’esprit humain par analogies. Il faut simplement utiliser ces métaphores là ou c’est utile et pas plus loin.

AP : Je propose, Monique ESSER, à ce stade de notre émission qui touchera bientôt à sa fin, d’écouter une forme de récapitulatif un rien acerbe et auquel vous pourrez bien entendu réagir. Je vous propose d’écouter la chronique de Philippe BARTHELET.

« Ouverture flexible : qu’est ce que la PNL ? Le dictionnaire des idées reçues, édition 2006, répondrait sans doute qu’on ne sait pas ce que c’est, en quoi il aurait tort. À coup sûr, ses inspirateurs, BOUVARD et PECUCHET, auraient pris grand plaisir à sonder la richesse d’un sigle si mystérieux. Il est vrai qu’à la lueur du simple langage, on ne peut qu’être intimidé par cette entreprise : détaillage expérientiel original quelle que soit sa position perceptuelle. Un décryptage prioritairement syntactique, qui ne vise rien de moins que de débrancher le paradigme, afin de stabiliser les démarches et les expériences qui doivent être approfondies.

Que le détaillage soit stabilisateur et permette l’approfondissement, les ingénieurs des mines le vérifient tous les jours. Ce qui prouve que la PNL s’enracine dans des métaphores qui exploitent la géographie corporelle et spatiale et n’existerait pas comme « savoir divorcer du faire, du faire explorer et du pouvoir faire ». A ce point de l’exposition, on peut bien avouer que PNL veut dire Programmation Neuro-Linguistique. Ne nous cachons pas que l’appellation ainsi déployée, ou plutôt dé siglée, a quelque chose d’un peu gênant. Elle évoque irrésistiblement à l’esprit non préparé, la cybernétique revue par le Docteur Mabuse. Que l’un de ses fondateurs soit mathématicien et l’autre linguiste ne nous rassurera que médiocrement, d’autant que ses praticiens parlent encore d’hypnose sans hypnose visant à un état modifié de la conscience, voire, nous traduisons mot à mot de l’Anglais, de trans-formation. En passant outre à ces présuppositions américaines, et en approfondissant, comme on y était invité d’entrée de jeux, on retrouve plus heureusement le vocabulaire ascétique, avec l’état présent et l’état désiré, et la confiance que le patient doit faire au thérapeute pour passer de l’un à l’autre. Car la PNL, comme son nom ne le dit pas, est d’abord une thérapeutique, même si ses fondateurs, qui l’ont généralisé en technique de marketing, semblent l’avoir perdu de vue. On retiendra l’intention secourable de développer l’ouverture et la flexibilité des individus pour qu’ils disposent de plus de choix comportementaux et interprétatifs dans la vie et de soucis en vue d’une opérationnalisation en termes de solutions, de compréhension phénoménologique de l’écoute, ou du vécu du sujet. En dehors de BOUVARD et de PECUCHET, Flaubert eut, quant à lui, beaucoup admiré ce triple génitif.

AP : Monique ESSER, vous n’êtes pas là pour défendre Richard BANDLER et John GRINDER, comparés à BOUVARD et PECUCHET par Philippe BARTELET. Mais il y avait quelques coups de pieds, non ?

ME : Bien sûr. Et c’est amusant car sa toute première phrase, est une phrase que j’ai un jour écrite à propos de la PNL : « On a découvert quelque chose et on ne sait pas ce que c’est ». Et je continue à le penser, parce qu’au fond la PNL a mis en avant une série d’énigmes relevant de la manière dont fonctionne l’esprit. Par exemple, c’est très surprenant que certaines figures linguistiques révèlent la façon dont mon cerveau fonctionne…etc. Je trouve cela absolument surprenant. Maintenant, c’est vrai que Philippe BARTHELET a accumulé des phrases relativement absconses, et donc effectivement, son propos est un peu difficile…

AP : Il a joué un beau mécano, il a construit de l’abstrait

ME : En fait les choses sont extrêmement concrètes (avec la PNL). Les fondateurs, et notamment BANDLER, étaient des anti-théoriciens forcenés, et malheureusement, pour le monde académique, ils ont commencé à l’envers, alors que je crois que c’est très bien. Ils sont partis de l’action, de l’imitation même de l’action de bons thérapeutes pour comprendre ce qu’ils faisaient vraiment. Quand vous regardez des enregistrements de Milton ERICKSON, ce qu’il fait vous paraît vraiment hermétique, vous n’y comprenez rien. Pour y parvenir, il a fallu déconstruire son travail de l’intérieur, l’imiter et puis travailler en s’interrogeant mutuellement, par exemple en se demandant : « A ton avis, qu’est ce qui se passe, comment pourrait-on appeler cela ? ». Toute une dynamique de la création exercée sur le vif ! Actuellement, il faudrait arriver à systématiser et thématiser davantage cette approche de la recherche, et il y a malheureusement très peu de candidats pour le faire.

AP : Je voudrais qu’en toute fin, nous puissions quand même revenir à ce qui revient tout le temps quand on parle de la PNL, est-ce du sens commun ou du bon sens, on va le voir. Bon, mais, certains vous traitent de marchand de certitudes et tout cela c’est de bonne guerre je dirais. En revanche, c’est la question des risques sectaires. Vous savez que la Mission Inter ministérielle de Lutte contre les Sectes ( la MILS) a épinglé, dans son rapport de 2001, la PNL, en parlant d’un ensemble disparate de …communication, …apprendre à former un message, à décoder des signaux non verbaux, des mouvements oculaires etc. Le rapport disait que les fondements scientifiques et les validations empiriques sont faibles, et que la PNL ne se distingue pas d’autres offres de produits psychologiques : formation, relation humaines, animation de groupe, groupe de développement personnel, Analyse Transactionnelle, et je cite encore deux trois choses. Pour ce rapport, les composants en sont facilement identifiables : un sujet qui fascine et qui répond à des besoins, des stages pratiques et des expériences émotionnelles fortes, des idées simples proches du sens commun, la délivrance d’un diplôme à l’issue d’un ou plusieurs stages qui permettent de devenir soi-même formateur, le tout orienté non vers l’aide et la santé, mais plutôt vers l’exploitation et le profit.

Alors vous allez me dire « cela ne me concerne pas » et on l’a vu, vous êtes extrêmement critique, et ce n’est pas parce que vous utilisez tous les jours un couteau pour couper votre beefsteak, qu’il faut vous mettre sur le dos tous les crimes commis à l’arme blanche. Mais néanmoins, Monique ESSER, est-ce que vous pourriez répondre, parce que une secte, c’est quand même pas n’importe quoi ? Moi, il ne me semble pas avoir vu…. La déstabilisation mentale, cela se discute, en revanche le gourou …j’ai pas vraiment l’impression, et puis vous n’avez pas de monastère où vous kidnappez les gens en les détroussant de toutes leurs économies ?

ME : Si j’ai bonne mémoire… et je n’ai pas pu relire le rapport de la MILS avant de venir. Si j’ai bonne mémoire, on a parlé de la PNL en même temps que l’analyse Transactionnelle, en les citant comme présentant un « risque de dérive sectaire », me semble t-il.

AP : Oui, quelques exemples de dérives sectaires en psychothérapie. C’était pas au même titre que la scientologie, ou d’autres qu’on ne citera pas, parce que on serait obligé d’avoir des droits de réponses innombrables.

ME : Et puis là, il y a des différences majeures. Ce n’est pas parce que vous allez vous inscrire à un stage, que vous entrez dans une secte. La première chose que j’ai envie de dire, c’est : est-ce qu’on a vérifié la source des informations données par cette mission ministérielle ? A mon avis il n’y a pas eu de critiques des sources à ce sujet. En fait, ces gens ont l’air d’avoir beaucoup travaillé sur des « ouie dire ». Est-ce que l‘une de ces personnes s’est formée sérieusement à la PNL, ne serait-ce que quelques jours, pour se rendre compte de ce qu’elle peut représenter ? Est-ce qu’ils ont été dans plusieurs centres de formation ? En plus, il y a énormément d’éléments, notamment au niveau des critères des sectes, qui ne se retrouvent pas dans la PNL. C’est déjà une première chose. En plus, il faut se rendre compte, que dans toutes les approches, il y a eu des espèces de gourous. Même LACAN peut être vu comme un gourou. Quand je vois la servitude volontaire dans laquelle les gens se sont mis pour être ses fidèles ! Donc, je crois qu’on pourrait en dire la même chose de toute autre approche qui pourrait, soit susciter l’apparition de gourou (ce qui est relativement rare en PNL), soit favoriser des adhésions inconditionnelles qui manquent totalement de recul critique. C’est pour cela que je questionne les fondements de la MILS. Et ce que je conteste aussi, c’est de ne pas avoir développé des faits et un goût de l’enquête qui auraient pu montrer finalement que ces propos n’ont pas été mesurés en fonction des conséquences très négatives qu’ils pouvaient produire.

AP : Parmi les quelques secondes qui nous restent, Monique ESSER, vous critiquez la Mission Inter Ministérielle, sans doute à juste titre, car le rapport a d’ailleurs ensuite changé les choses. Mais vous seriez parfaitement crédible, parce que je sais que vous le faîtes, en nous disant que par ailleurs, il vous arrive de souhaiter mettre un peu d’ordre chez ceux qui se réclament de la PNL, pour ne pas compromettre celle qui vous convient.

ME : Oui c’est évident Le premier livre qui est paru sur la vente avec l’usage de la PNL employait une démarche que Milton ERICKSON utilisait pour persuader ses clients. Vous vous rendez compte ? Prendre de l’hypnose ericksonnienne et la transférer à la vente ! Tout cela pour moi est scandaleux et relève d’une culture vénale qui marchandise tout. C’est tout simple et je le regrette infiniment. Mais c’est à ce niveau que nous, les héritiers de mai 68 et nous souffrons beaucoup de cela.

AP : Finalement la PNL est une affaire trop sérieuse pour la confier au marché ?

ME : Absolument. Mais c’est trop tard ! Et comme elle est très facile d’accès, même si elle a été très difficile à découvrir, en trois heures, vous pouvez déjà croire que vous savez décoder la carte du monde de l’autre …

AP : Donc, je conclus en disant : soyons curieux, soyons ouverts, ouvrons l’oeil et le bon ! Il s’agit aussi, non pas d’être méfiants, mais d’avoir le recul critique qui s’impose. En tous cas, merci beaucoup Monique ESSER.

* Avec Monique ESSER, docteure en sciences pédagogiques et professeure à l’université catholique de Louvain, certifiée en PNL. par le New York Training Institute, a écrit de nombreux articles consacrés à la PNL., cette approche psychothérapeutique qui a vu le jour en Californie, au début des années 1970. Elle s’est occupée de l’édition de “La Programmation neuro-linguistique en débat : repères cliniques, scientifiques et philosophiques” (L’Harmattan, 2004) et est l’auteure de La PNL en perspective (Labor, 1993)et la chronique de Philippe BARTHELET.

Transcription de Jean-Luc Monsempès et publication avec l’accord des auteurs – 31/05/2006


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