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Par Robert Dilts et Benoit Sarazin, article publié dans l’Expansion Management Review de septembre 2008.

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Les innovations de rupture peuvent être à l’origine de grandes réussites commerciales. Cependant, il est souvent difficile de comprendre pourquoi. Elles paraissent être le résultat de la rencontre improbable entre une entreprise et une nouvelle tendance du marché dans laquelle le hasard a joué un rôle déterminant. Cet article montre que la réussite n’est pas qu’une question de chance. Elle est liée à la présence d’un facteur déterminant : les consommateurs précurseurs et les pionniers de l’entreprise doivent faire partie de la même communauté virtuelle. Il faut qu’ils partagent les mêmes valeurs et la même vision.  Mike Douglas, un skieur reconnu, est à l’origine d’une innovation de rupture. En 1997, il a engendré une nouvelle pratique de ski  freestyle appelée « nouvelle école » :  les freestyleurs se lancent sur des tremplins en neige ou en métal et réalisent des  figures aériennes spectaculaires faites de rotations horizontales et verticales avant d’atterrir sur leurs skis.

Le commencement

Cela a commencé comme un simple jeu entre jeunes. Mike était le capitaine de l’équipe de ski de bosses du Canada et, entre deux compétitions, lui et son équipe aimaient essayer des choses nouvelles. A l’époque, le ski de bosses, une des disciplines du freestyle, attirait une audience restreinte. Il se développait et la règlementation grandissante rendait la pratique de plus en plus figée. Pour Mike, le terme « freestyle » était incompatible avec une telle rigidité. Ses coéquipiers étaient jaloux de la popularité dont jouissaient les snowboardeurs qui impressionnaient le public avec leurs sauts dans les snowparks – des zones enneigées réservées aux tremplins et aux half-pipes. Mike et son équipe étaient parmi les meilleures skieurs du Canada. Pour eux, atteindre ce même niveau d’excellence en snowboard était irréaliste car cela leur demanderait des années d’effort. De plus ils étaient convaincus qu’ils pouvaient faire avec leurs skis des sauts encore plus spectaculaires que ceux des snowboardeurs. Ils se sont rendus dans  des snow parks et ont tenté des tours sur eux-mêmes et des sauts périlleux. Au bout d’un certain temps, encouragés par les commentaires admiratifs des passants, ils se sont rendus compte qu’ils avaient le potentiel de révolutionner le monde du freestyle ski. Ils avaient raison. Plus tard, Mike et son équipe devinrent aussi connus que des stars de rock et furent rebaptisés la « New Canadian Air Force » (Nouvelle force Aérienne Canadienne). Ils purent gagner leur vie en faisant ce qu’ils aimaient le plus : faire des démonstrations de freestyle.

Ceci ressemble à une belle histoire tirée d’un conte de fée moderne. La réalité ne fut pas aussi simple. En novembre 1997, Mike était au bord du désespoir. Il ne parvenait pas à obtenir le soutien des fabricants de skis. Pour effectuer ses nouvelles acrobaties, il lui fallait un nouveau type d’équipement, des skis à double spatules. A l’image du snowboard, ces skis permettent de skier en avant et en arrière. Trois mois plus tôt, il avait contacté huit grandes marques de skis pour leur demander de concevoir les nouveaux skis dont il avait besoin. Sa proposition était très séduisante. Dans une vidéo de 8 minutes, lui et son équipe montraient leurs figures inédites pour l’époque et annonçaient l’avènement d’une nouvelle ère dans l’histoire du ski. Il perdit vite ses illusions. Tous les fabricants répondirent de manière négative. Leur logique était simple : l’idée était trop risquée et ne déboucherait jamais sur un succès commercial. Elle allait à l’encontre de leurs stratégies de produits. L’industrie du ski suivait une ligne traditionnelle centrée sur la course de slalom et de descente. Elle se focalisait sur le ski parabolique, un ski en forme de sablier qui rendait les virages faciles et sans effort. Le marché du ski amenait très peu d’innovation et perdait du terrain face au snowboard. Les jeunes délaissaient le ski. Ils préféraient le snowboard qui représentait la nouveauté et la fraîcheur. Malgré ce constat alarmant, la plupart des managers ne percevaient pas le potentiel de la proposition de Mike. Ils étaient habitués à la compétition où les acrobaties n’avaient pas leur place. Ils ne vivaient pas dans le même monde que Mike

La voix de Mike a finalement été entendue par quelques pionniers chez Salomon, un grand fabricant d’équipements de sports. L’un d’eux est Christian Huyghes, chef de projet chez Salomon, qui a conçu les premiers skis à double spatule. Christian ne connaissait pas Mike Douglas. Il n’avait pas été mêlé à la décision initiale de Salomon de refuser l’offre de Mike. Il avait entendu parler de l’idée de Mike par Toshi Shimizu, le responsable du Marketing du ski de Salomon au Japon. Toshi s’inquiétait de l’attitude conservatrice du secteur du ski et recherchait activement un moyen de le revigorer. Toshi avait entendu parler de l’idée de Mike par un de ses collègues, Steve Fearing. Steve était entraîneur de l’équipe de ski de bosses du Japon sous contrat avec Salomon, et aussi un ami proche de Mike Douglas. Quand Toshi regarda la vidéo, il reconnut l’innovation qu’il recherchait. Il alerta Christian et lui envoya la vidéo par courrier. Christian fit confiance a Toshi et regarda la vidéo immédiatement après l’avoir reçue.

En regardant la vidéo, Christian prit conscience qu’un séisme était sur le point de se produire. Grâce à son vécu, il comprenait la frustration des skieurs devant la domination des snowboardeurs. A vingt ans, Christian faisait de la compétition de ski nautique à haut niveau. Il avait observé la frustration des pratiquant de ski nautique quand le wakeboard – l’équivalent aquatique du Snowboard – était apparu en 1993. Les wakeboardeurs ont rapidement monopolisé l’attention des médias parce qu’ils faisaient des sauts spectaculaires impossibles à réaliser en ski nautique. Christain savait que la proposition de Mike annonçait le début de la révolte des skieurs contre les snowboardeurs. Il voulait en faire partie. Il prit l’engagement que Salomon serait le premier sur le marché avec des skis à double spatule. Il reçut le soutien de plusieurs collègues, notamment Patrick Chevalier, directeur du marketing de l’activité ski, Edgar Grospiron, médaillé d’or olympique en ski freestyle et consultant auprès de Salomon et Guy Berthiaume, responsable du marketing du ski au Canada. Ils étaient tous fascinés par la vision de Mike. Ils se concertèrent pour rassurer la direction de Salomon qui voyait dans cette initiative une déviation dangereuse de la stratégie en cours. Trois mois plus tard, Christian était en mesure de livrer à Mike les prototypes des nouveaux « teneighty » – les premiers skis à double spatule de Salomon.. Le succès dont a joui le produit entraîna une forte croissance du marché de l’équipement de ski freestyle. Salomon a pris la position de leader sur ce marché et l’a gardée pendant des années.

Dans la suite de l’article, nous analysons les éléments qui ont fait du « teneighty » une innovation de rupture couronnée de succès.

L’innovation de rupture a lieu dans une communauté virtuelle de précurseurs et de pionniers

Les innovations de rupture ne peuvent apparaître que si une communauté virtuelle crée l’idée et lui donne vie. Cette communauté est composée de précurseurs et de pionniers. Les précurseurs sont des clients avides d’essayer les produits innovants. Les pionniers sont des employés de l’entreprise qui sont prêts à sortir du moule pour tenter l’aventure de l’innovation. La communauté est qualifiée de virtuelle parce qu’elle prend forme uniquement à l’occasion de la création de l’innovation. Il n’est pas nécessaire que les précurseurs et les pionniers se connaissent au préalable. Ils s’unissent pour entreprendre un projet commun et exaltant. Une fois celui-ci terminé, ils ne ressentent pas le besoin de rester en contact. Ils sont passionnés. Ils s’enthousiasment autour d’une vision. Ils donnent vie à quelque chose qui n’avait jamais été imaginé auparavant.

Dans le cas de Salomon, le ski « teneighty » a pu prendre forme grâce à l’action concertée de deux clans. Un groupe de skieurs, l’équipe de Mike, a créé le concept. Leur rôle fut d’inventer la nouvelle pratique et de convaincre Salomon de produire l’équipement adéquat. Un groupe d’employés de Salomon reconnut la valeur de cette idée et mit au point le produit. Plus tard, l’enthousiasme de l’équipe de Mike agit comme un aimant puissant qui entraîna les autres skieurs à suivre son exemple. L’équipe de Mike et les employés de Salomon avaient beaucoup de traits communs. Ils étaient liés par la même passion. Ils étaient poussés par le même désir de créer une catégorie de skieur qui n’existait pas auparavant. Ils avaient la même sensibilité, la même motivation. Mike et son équipe étaient des jeunes skieurs de bosses avides d’essayer de nouvelles acrobaties. Parallèlement, même s’ils étaient moins jeunes, l’équipe de Salomon était constituée de skieurs hors-normes. Beaucoup de ces inpidus avaient le même parcours, ce qui a facilité leur collaboration temporaire.

Les facteurs qui influencent le changement

Les précurseurs et les innovateurs doivent être en symbiose par rapport à leurs valeurs, leur identité et leur vision : Les facteurs suivants influencent le changement et aident à comprendre le phénomène de l’innovation de rupture :

Les facteurs environnementaux se rapportent aux circonstances extérieures. Ils concernent où et quand se passe l’innovation.
Les facteurs comportementaux sont l’ensemble des actions menées pour atteindre un résultat. Ils concernent le quoi, c’est-à-dire ce qui doit être fait pour que l’innovation se produise.
Les capacités se réfèrent à comment quelque-chose est fait, comment les actions sont choisies, exécutées et contrôlées.
Les valeurs se rapportent au pourquoi une démarche  est mise en œuvre ou non. Elles représentent les motivations profondes qui poussent les gens à agir ou persévérer.
Les facteurs d’identité se réfèrent aux rôles ou à la mission que les personnes se donnent. Ils expriment comment celles-ci se perçoivent. Le sentiment d’identité existe aussi bien chez les inpidus que dans les organisations.
Les facteurs de vision font référence à la contribution des personnes vis-à-vis de la communauté qui les entoure. Ces facteurs incluent pour quoi et pour qui une action spécifique est prise.

Une innovation de rupture cause un changement radical pour les clients et les entreprises. Elle érige des obstacles que seul l’esprit aventurier des précurseurs et des pionniers peut franchir. Elle ne peut réussir que si deux conditions sont remplies :

1. Le changement vécu par les précurseurs et les pionniers atteint le niveau des valeurs, de l’identité et de la vision. Si c’est le cas, il génère une quantité d’enthousiasme suffisante pour surmonter l’incertitude et le doute. Si le changement se limite à l’environnement, le comportement et les capacités, il n’y a pas suffisamment d’énergie pour produire une innovation de rupture.

2. Les précurseurs et les pionniers partagent une passion débordante fondée sur une identité, une vision et des valeurs concordantes. Leurs situations  étant différentes, leurs valeurs, identité et vision ne sont pas forcément identiques. Par contre, ces éléments doivent converger pour que la communauté virtuelle amène ce défi à la réussite.

Le cas de Salomon en est une bonne démonstration. L’innovation a créé un véritable bouleversement dans la pratique du ski. Pour Mike et son équipe, c’était un changement majeur au niveau de l’environnent, du comportement et des capacités. Ils sont passés des pistes classiques aux snowparks (changement au niveau de l’environnement), Ils ont testé de nouveaux sauts et acrobaties (changement au niveau du comportement). Ils ont inventé des nouvelles techniques de saut à ski (changement au niveau des capacités). Cependant, ce ne sont pas ces éléments qui ont poussé Mike à créer une révolution dans le ski. La motivation de Mike venait de sentiments plus profonds qui prenaient racine dans la vision, l’identité  et les valeurs. Les règles strictes imposées par les puissantes fédérations de ski le freinaient dans ses ambitions.

Ces entités contrôlaient l’évolution du sport en organisant des compétitions internationales et en réglementant la pratique des athlètes. De ce fait elles mettaient la discipline au premier plan. Ceci était perçu par les adolescents comme une rigueur absurde qui inhibait inutilement leur désir de s’amuser et leur esprit fantaisiste. Pour Mike, le plaisir était plus important que la discipline (changement au niveau des valeurs). La popularité des snowboardeurs le frustrait et le poussait à chercher à sortir de l’ombre (changement au niveau de l’identité). Mike s’est rendu compte qu’il pouvait révolutionner le ski « freestyle » en inventant une nouvelle classe de skieurs (changement au niveau de la vision).

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L’innovation devint possible lorsqu’un groupe d’innovateurs de Salomon endossa l’identité, la vision et les valeurs proposées par Mike. Ils reconnurent que la valeur du plaisir était plus importante que celle de la discipline (changement au niveau des valeurs). Christian Huygues s’identifia à la communauté de skieurs qui voulait prendre sa revanche sur celle des snowboarders (changement au niveau de l’identité). Il releva le défi d’être le premier sur le marché avec le teneighty (changement au niveau de l’identité). Quand les membres de l’équipe de Salomon vit la vidéo de Mike, ils furent captivés par la promesse d’une révolution dans le monde du ski freestyle. (changement au niveau de la vision).

Il est intéressant de remarquer que les innovateurs de Salomon n’eurent pas à vivre des changements en ce qui concerne leurs capacités, leurs comportements et leur environnement. Ils pouvaient facilement concevoir, produire et mettre sur le marché le teneighty en utilisant les procédés et les technologies établies.

Cet exemple montre également qu’un manque de convergence au niveau de l’identité, de la vision et des valeurs inhibe l’innovation de rupture. La forte résistance initiale de la part des fabricants de skis envers l’innovation de rupture est déconcertante. Fabriquer le ski à double spatule ne nécessitait pas de nouvelles techniques. On pouvait s’attendre à ce que plusieurs des huit grandes marques du ski se soient précipitées pour donner immédiatement une réponse positive à Mike. Ce ne fut pas le cas. Malgré le besoin de revigorer le marché, ils se montrèrent incapables de percevoir l’opportunité commerciale liée à sa proposition. Ils étaient coincés dans un modèle mental qui ne leur permettait pas d’être en symbiose avec Mike au niveau de l’identité, de la vision et des valeurs. Leur stratégie était limitée à l’exploitation du potentiel déjà déclinant du ski parabolique, une innovation vieille de 10 ans (vision). Leur monde était structuré par l’influence des compétitions strictement règlementées (identité). Leurs valeurs étaient la discipline et la vitesse. Le plaisir en était exclu. (valeurs).

Le facteur chance

Dans l’introduction de cet article, nous avons vu que la chance semble jouer un rôle déterminant dans l’innovation de rupture. Pour réussir, s’agit-il simplement « d’être au bon endroit au bon moment » ? Dans le cas de Salomon, peut-on dire que c’était par chance que Mike Douglas ait inventé une nouvelle pratique de freestyle, que Christian Huygues en ait entendu parler ?

Si la chance fait partie de l’équation, alors se pose la question suivante : qu’est-ce qui crée la chance ? S’il est vrai que les innovations de rupture réussies ont généralement bénéficié de chance, nous suggérons qu’elles ne se sont pas produites par hasard. Les organisations peuvent agir pour augmenter le « facteur chance ».

« La chance est la rencontre de la préparation et de l’opportunité ». Si vous êtes face à une opportunité mais que vous n’êtes pas préparé a en tirer avantage, on peut dire que vous  n’avez « pas de chance ». Si vous êtes préparés mais que vous ne trouvez pas d’opportunités pour mettre en œuvre votre préparation, vous n’avez également  « pas de chance ».

La plupart des gens sont d’accord pour dire qu’ils contribuent à la préparation. Par exemple, Thomas Jefferson, le 3ième président des Etats-Unis, affirmait qu’il était « un homme très chanceux ». Il faisait également remarquer que plus il travaillait dur, plus il devenait « chanceux ». De même, le grand golfeur Arnold Palmer concédait que beaucoup de ses victoires en tournoi étaient dues à la chance. Il ajoutait cependant que plus il s’entraînait, plus il avait de chance. Ces commentaires signifient que la chance n’est pas accidentelle. La préparation vous permet de mieux saisir les opportunités qui se présentent.

Mais comment créer ou trouver des opportunités ? Que peut faire une entreprise pour être la première à créer ou identifier des opportunités majeures ?
Le cas du teneighty de Salomon apporte de la lumière sur ces questions.

La détection de signaux faibles

Les innovations de rupture créent de nouveaux marchés où la position de leader est à prendre et où les leaders du passé n’ont pas d’avantage sur leurs concurrents. Pour réussir, les entreprises doivent devancer leurs concurrents. Elles doivent identifier le plus tôt possible les nouvelles tendances pour saisir les opportunités. Si elles échouent, elles tombent sous le joug d’adversaires plus efficaces. Ainsi, détecter les « signaux faibles » qui annoncent les opportunités devient une aptitude importante pour réussir les innovations de rupture. Celles-ci ne proviennent pas d’un dictat du service marketing. Elles répondent aux besoins latents et encore non satisfaits des consommateurs plutôt qu’aux besoins déjà connus.

Dans son livre « Alpha Leadership », Robert Dilts et ses co-auteurs utilisent l’analogie des grenouilles et des chauves-souris pour illustrer l’importance de la détection de signaux faibles. Les grenouilles et les chauves-souris se nourrissent tout deux d’insectes volants mais ont des stratégies complètement différentes pour les attraper.

Les grenouilles s’assoient sur des nénuphars en attendant que la nourriture vienne à elles. Elles sont connues pour être de piètres détecteurs de signaux faibles. Considérons l’expérience, quelque peu dérangeante, de la grenouille plongée dans une casserole d’eau qui est ensuite mise sur le feu. Si l’eau chauffe lentement, la grenouille ne détecte pas le changement de température et ne saute pas pour s’échapper. Elle finit par bouillir avec l’eau.

De même, les grenouilles ne sont capables de détecter que les caractéristiques les plus évidentes des insectes volants. L’insecte doit avoir une certaine taille et forme et bouger d’une certaine manière pour que le batracien le considère comme de la nourriture. Il peut mourir de faim dans une boîte remplie de mouches si celles-ci ne bougent pas.

Les chauve-souris en revanche utilisent des sonars sophistiqués, capables de détecter des signaux minuscules, pour traquer leur proie avec une aisance impressionnante. Une seule chauve-souris, par exemple, peut attraper environ 1 200 insectes de la taille d’un moustique en une heure. (Dans la caverne de Bracken au Texas, on estime que les 20 millions de chauve-souris qui y habitent mangent environ 200 tonnes d’insectes chaque nuit !). Les grenouilles ne voient que les tendances les plus évidentes. Les chauve-souris en revanche écoutent les signaux subtils.

Le point essentiel dans cette comparaison est la grande différence d’espérance de vie de ces deux animaux. La plupart des grenouilles vivent en moyenne de 2 à 5 ans. Les chauves-souris, elles, ont une espérance de vie moyenne de 25 à 40 ans ! Ces dernières ont donc développé une stratégie de survie à beaucoup plus long terme. Le fait que les chauves-souris constituent à peu près un quart de tous les mammifères (il y a plus de  1 100 espèces de chauves-souris dans le monde) est une autre preuve de l’efficacité de leur capacité à détecter les signaux faibles.

Le cas du ski teneighty de Salomon est un exemple typique de détection de signaux faibles efficace. Des personnes comme Christian Huyghes, Steve Fearing, Toshi Shimizu, Patrick Chevallier, Edgar Grospiron et Guy Berthiaume étaient tous comme des « chauve-souris », capables de repérer les signaux faibles venant de Mike Douglas annonçant une nouvelle tendance de ski

La création d’un réseau d’attrapeurs pour identifier les signaux faibles

Pour réussir les innovations de rupture, une entreprise doit créer un réseau d’attrapeurs (chauves-souris) et faire en sorte qu’il soit le plus large possible. Ce réseau sera capable d’identifier les signaux faibles annonciateurs de nouvelles opportunités. Le noyau de ce réseau est constitué des employés de l’entreprise. Puisque ces derniers viennent d’une population persifiée, ils sont en contact avec un grand nombre de communautés virtuelles.  Par conséquent ils assurent la liaison avec des communautés  qui peuvent potentiellement être à l’origine d’une innovation de rupture. Des occasions apparaissent lorsque, grâce à ces réseaux, l’entreprise est en communication avec des personnes extérieures à l’entreprise. Plus ces connections sont abondantes, plus elle a de liens avec le « champ » de possibilités.

Jean-Luc Diard était le responsable des sports d’hiver de Salomon à l’époque du développement du ski teneighty. Il est devenu plus tard le PDG de Salomon. Il a mis en place la politique suivante : « c’est le droit et le devoir de tous les employés de trouver de nouvelles opportunités de marché intéressantes. Ils doivent les communiquer aux décideurs appropriés dans l’entreprise ». C’est ce que Toshi a fait quand il a pris connaissance de la proposition de Mike et en a informé Christian Huygues.

Le filtrage des signaux faibles

Le filtrage des signaux faibles est aussi important que leur détection. L’innovation de rupture réussie nécessite de savoir faire la distinction entre les effets de mode et les tendances durables. Un élément essentiel de l’exemple du teneighty de Salomon  est que le « signal faible » venant de Mike Douglas a été validé de façon collégiale par un certain nombre de personnes compétentes de l’entreprise.

Pour réussir à innover, les entreprises doivent avoir une méthode efficace de validation les idées d’innovation potentielles. Au sein de l’entreprise, il doit y avoir unanimité sur les critères de sélection des idées intéressantes. Dans beaucoup d’exemples d’innovations de rupture réussies comme celui de Salomon on retrouve les critères de choix suivants :

1.Les idées correspondent a des valeurs fortes et reposent sur une grande conviction personnelle.
2. Elles repoussent les limites existantes et permettent d’atteindre ce qui semblait impensable auparavant.
3. Elles sont issues de l’expérience pratique des consommateurs et non pas de la théorie.

Appliquer l’innovation ouverte

L’innovation de rupture demande aussi d’adopter le principe de « l’innovation ouverte ». Elle exige que les entreprises accueillent la participation de tierces parties extérieures à l’entreprise qui partagent les mêmes valeurs et la même vision. Dans le cas du ski teneighty de Salomon, l’équipe de Mike Douglas était un de ces partenaires.
Le concept de l’innovation ouverte est bien illustré par un exemple, celui d’Apple. L’iPod est une innovation de rupture très réussie. Il a façonné le marché du média player portable et a altéré le marché des ventes de musique. Quand l’iPod a été conçu, les directeurs d’Apple savaient qu’il leur manquait les compétences internes pour concevoir un lecteur de musique. Contrairement à ses habitudes, Apple n’a pas fait développer l’iPod entièrement en interne. Elle a chargé un partenaire, PortalPlayer, de produire le logiciel. Elle a passé un contrat avec Pixo, pour concevoir l’interface de l’utilisateur. De la même façon, iTunes a été adapté à partir d’un logiciel acquis à l’extérieur. De plus, Apple fit venir de l’extérieur des experts de logiciels de musique et des ingénieurs de l’électronique hardware comme Jeff Robbin et Tony Fadell et les intégra dans une équipe de vétérans de la société. Ces nouveaux venus établissaient le lien entre Apple et la communauté virtuelle des mélomanes.

Etendre le marché au delà de ses limites actuelles

L’innovation de rupture crée un nouveau marché avec des limites qui ne correspondent pas à celles des marchés existants. Comme Benoit Sarazin l’explique dans son livre « Misez sur les ruptures de marché », une innovation de rupture se produit initialement dans une niche du marché. Cette niche est composée d’un ensemble de clients dont les besoins sont les mêmes que ceux de la communauté virtuelle à l’origine de l’innovation. Cependant le potentiel du marché est bien plus grand que celui de la niche initiale. Il est probable qu’il comprenne des segments de marché auxquels l’entreprise n’avait pas accès auparavant. Même si l’innovation de rupture prend souvent naissance dans une niche de clients existants, elle n’est pas limitée au marché dans lequel l’entreprise est présente. L’entreprise doit viser à étendre ses marché au delà des frontières existantes.

Une bonne illustration de ceci est l’évolution du iPod. En l’an 2000, L’ iMac aux couleurs audacieuses de Steve Jobs était le symbole de la prospérité retrouvée d’Apple. Ayant l’ambition d’augmenter les ventes, la direction de l’entreprise se demanda : « que pouvons-nous faire pour que plus de clients achètent l’iMac ? ». La communauté virtuelle des étudiants, une grande source de ventes d’iMacs, étaient des amateurs de musique qui échangeaient passionnément des chansons sur le site web de Napster. Ils branchaient des haut-parleurs à leurs ordinateurs et pirataient des chansons à partir de CDs. A la différence des ordinateurs équipés de Windows, les iMac n’avaient pas de logiciel pour gérer la musique. Pour rattraper son retard dans l’explosion de la musique numérique, Apple acquit un logiciel qui lui permit de  lancer commercialement le logiciel iTunes sur l’iMac en Janvier 2001. Puis, les équipes d’Apple se mirent à la recherche d’idées de gadgets pour valoriser l’iMac. Ils s’aperçurent qu’il n’existait pas d’appareil portable commode permettant d’écouter la musique stockée sur ordinateur.  Les lecteurs de musique numérique étaient soit gros et encombrants ou petits et inefficaces. C’est pour cette raison que la direction d’Apple décida de concevoir un lecteur de musique et que le premier iPod apparut en Octobre 2001. Ensuite Apple lança en avril 2003 le service de vente de musique en ligne iTunes Storele.

Jusqu’alors, l’iPod n’était qu’un accessoire pour l’iMac. Ses volumes de ventes étaient limités. Apple s’est alors rendue compte que le marché offrait une opportunité bien plus grande . L’iPod pouvait être vendu comme accessoire de tout ordinateur, y compris ceux équipés de Windows. Le logiciel iTunes fut adapté à Windows XP en Octobre 2003. C’est ce qui déclenché la croissance spectaculaire des ventes à partir de l’année 2004.  En 2008, l’iPod est aujourd’hui le leader du marché du lecteur média portable. Le site iTunes Store tient la première place des ventes dans les magasins de musique aux Etats Unis.

L’histoire des ventes d’iPod par trimestre

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Les innovations de rupture doivent être protégées de la stratégie dominante de l’entreprise

La plupart des innovations ne sont pas des ruptures. Elles ne créent pas de changements majeurs pour les consommateurs ou pour les fournisseurs. On les appelle « innovations incrémentales ». Elles suivent des tendances existantes et bien connues. Le jeu concurrentiel consiste à égaler ou à dépasser les adversaires dans une partie où les règles sont bien établies. L’innovation de rupture, par contre, implique des changements importants soit pour les consommateurs soit pour les fournisseurs. Elle ne suit pas la continuité de l’évolution historique du marché.

La planification stratégique traditionnelle est souvent un exercice où les dirigeants aspirent à rassurer leurs actionnaires sur la validité de leur plans. Elle se base sur des tendances de marché prouvées et mesurables. Elle fait la part belle aux  innovations incrémentales dont la prévisibilité est assurée. Comme les innovations de rupture font dériver le marché vers une nouvelle trajectoire, elles détonnent par rapport aux stratégies établies. Elles trouvent très rarement leur place dans les plans stratégiques d’entreprise.

Il est très courant que les entreprises craignent que les innovations de rupture les distraient de leur stratégie dominante. Elles ont peur que ces innovations concurrencent leurs produits « vache à lait » et sèment la confusion chez leurs clients fidèles. Heureusement, de telles craintes sont infondées. Au début, l’innovation de rupture attire seulement une niche de clients précurseurs qui ne s’intéressent pas aux produits traditionnels. Plus tard, l’innovation ouvre la porte à de nouveaux marchés qui étaient hors de portée de l’entreprise.

Le cas de Salomon en est un bon exemple. L’entreprise avait deux lignes de produits de skis. La première visait la cible du ski parabolique. Ses produits étaient destinés aux skieurs qui descendent les pistes damées en faisant une succession de virages amples. Le ski parabolique est associé à des valeurs de vitesse et de discipline, des valeurs héritées de la course. L’axe stratégique dominant de l’entreprise était de rattraper le retard pris sur les concurrents dans ce segment. La seconde ligne de produits s’adressait à la pratique du ski « free ride ». Ses produits étaient faits pour des skieurs qui s’élancent dans des parcours hors-pistes en neige poudreuse. Ils portent les valeurs de l’aventure et de la fantaisie. Les valeurs de la ligne des produits freeride étaient proches de celles de l’équipe de Mike Douglas. Cependant la direction  de Salomon était satisfaite de sa position concurrentielle dans le segment  du freeride. Elle n’était pas ouverte à de nouvelles innovations qui pourraient rendre la pratique plus variée. C’est pour cette raison que la première réponse donnée à l’offre de Mike Douglas fut négative. Plus tard, quand le teneighty fut lancé, il ne cannibalisa aucun produit existant. Il stimula la création d’un nouveau marché qui fit accroître le business de Salomon.

Par conséquent, il est important de protéger les équipes travaillants sur des innovations de rupture. Elles courent le risque d’être rejetées par le reste de l’entreprise. Héberger un projet d’innovation de rupture dans une unité de business séparée ou dans une filiale indépendante est une décision avisée.

Conclusions

Voici quelques recommandations que les entreprises peuvent suivre pour réussir les innovations de rupture :

1-Créer un réseau « d’attrapeurs » qui détectent les signaux faibles. Vérifier que chaque employé sache que c’est son droit et son devoir de chercher des idées intéressantes et de les partager.

2-Reconnaître les innovations de rupture potentielles :

– Elles sont crées par des communautés virtuelles de précurseurs et de pionniers. Elles sont inspirées par des expériences de clients et non par des considérations théoriques.
– Elles créent un changement qui concerne la vision, l’identité et les valeurs. Elles sont soutenues par des innovateurs passionés qui cherchent à dépasser les limites de ce qui est possible aujourd’hui.

3-Appliquer l’innovation ouverte. Ne pas hésiter a mixer des équipes internes avec des partenaires extérieurs.

4-Etendre le marché au delà des limites existantes. Une innovation de rupture créée un nouveau marché dont les frontières sont difficiles à prévoir à l’avance.

5- Protéger les innovations de rupture de la stratégie dominante de l’entreprise.

Article de Robert Dilts et Benoit Sarazin, publié dans l’Expansion Management Review de septembre 2008.

“Il y a beaucoup de choses dans la vie qui attirent l’œil, mais peu de choses qui attirent le cœur…Poursuivez ces dernières”.

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Benoit Sarazin : Spécialiste de l’innovation, expert de l’Association Progrès du Management (APM). Il a fondé farWind Consulting en 2001. Auteur de “Misez sur les ruptures de marché” (Milalma 2007). Web: www.farwind.com Blog: www.benoitsarazin.com.

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Robert Dilts : Il est l’un des principaux chercheur et développeur de la PNL. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Ses derniers travaux sur la PNL de troisième génération concernent l’expérience humaine au niveaux de l’identité, de la mission et de la vision.
WEB : www.nlpu.com
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