Nous contacter

78 avenue du Général Michel Bizot
75012 PARIS

Nous appeler

“Une dépendance visible cache le plus souvent une aliénation, plus secrête, plus douloureuse et parfois innommable!”

Il était une fois un pigeon qui adorait l’ambroisie. Il avait découvert cette boisson très jeune et aimait se noyer très souvent dedans. Il avait lu que c’était la boisson préférée des dieux car elle donnait l’immortalité.
A certaines époques, c’était terrible car non seulement il s’égarait, mais détériorait ses relations, agressait ses projets et maltraitait tous ses rêves. Il avait tenté de multiples fois de se séparer de ce leurre qui empoisonnait sa vie, mais vous l’avez certainement deviné, sa dépendance à l’ambroisie était très forte.
Au pays des pigeons, l’attachement à une personne, un objet, une boisson ou même à un rêve est très puissant, très ancré dans le passé et l’histoire familiale de chacun.
Ce pigeon alternait phases d’enthousiasme, dans lesquelles il sentait qu’il pouvait se séparer de sa dépendance:
“Quand je le voudrai, j’arrêterai de boire !”, et phase de déprime, dans lesquelles il se sentait si impuissant qu’il en pleurait et hurlait de rage : “De toute façon je suis foutu, je n’y arriverais jamais…”. Entre ces deux phases il y avait en lui la honte de rechuter, de retomber dans ces égarements, dans sa folie envers l’ambroisie.
Il avait adhéré à un groupe de parole, où chacun pouvait se dire et avoir le sentiment d’être entendu. Il se reconnaissait tout à fait comme un alcoolique dépendant et sentait bien qu’il aurait du mal à s’engager dans une relation d’amour de longue durée. En effet, comment peut-on s’engager avec un objet d’amour ( au pays des pigeons, on utilise parfois ce langage un peu psychologisant) si on reste toujours dépendant d’un objet d’attachement tel que l’ambroisie? Et puis comment trouver une pigeonne qui accepterait de vivre a trois : lui, elle et l’ambroisie ? Il ne savait pas que beaucoup de pigeonnes sont prêtes à cela.

Un jour il entendit parler d’un praticien en symbolisation qui tentait de réconcilier les pigeons avec ce langage oublié. Et celui-ci lui dit à peu près ceci : “Votre attachement à l’ambroisie me paraît important, vital pour vous, même s’il vous détruit et vous empêche de vivre votre vraie vie. Il vous donne au moins une vie de remplacement. Il doit donc être respecté, puisque cet attachement remplit une fonction essentielle dans votre existence !”

Ce praticien lui proposa de symboliser son attachement à l’ambroisie par un objet rare et précieux. Il l’invita à entourer cet objet de beaucoup de soins, d’attention et, cela va sans doute vous surprendre, d’amour ! Par exemple il lui proposa de l’emmener au cinéma, de lui faire écouter de la musique, de lui offrir des roses, bref de lui donner des marques d’attention et d’amour. Il tenta de lui faire entendre que lutter contre l’ambroisie risquait d’être une errance vouée à l’échec, qu’au contraire tout le travail de changement devait se faire autour de sa relation de dépendance à l’ambroisie. Il put lui dire qu’au fond il vivait à trois depuis des années : lui (appelé Moi), l’ambroisie (appelée l’Autre) et sa relation de dépendance à l’ambroisie (appelée lien de dépendance). Il fut invité à centrer ses efforts sur ce lien de dépendance.

Cela peut vous sembler fou ou complètement incompréhensible, et pourtant ce praticien ne lui proposa rien d’autre.
Si vous acceptez d’entendre au-delà des mots (et des maux aussi), peut-être sentirez-vous que cette relation de dépendance à l’ambroisie devait être importante, vitale même pour ce pigeon puisqu’il tentait depuis des années de l’étouffer, de la noyer en buvant tout cela en vin (en vain !).
Vous me direz qu’il pourrait aussi essayer d’en comprendre le sens ou l’origine. Qu’il pourrait demander à sa mère ou à son père s’ils ont perdu quelqu’un d’important dans leur vie. S’ils ont eu le sentiment de remplacer un enfant mort, de vivre une vie de remplacement.

Vous voyez qu’il y a beaucoup à explorer dans l’une ou l’autre de ces directions.
Je ne sais comment se structurera la vie de ce pigeon.
Qui voudrait ainsi s’engager, former un couple avec lui et son ambroisie ? Seront-ils jamais prêts, l’un et l’autres, à vivre à quatre (ou à six), si la pigeonne est elle même dépendante d’une dynamique salvatrice qui veut lui faire aider à tout prix les personnes en détresse qu’elle rencontre !
Vous percevez que, dans un couple, il y a donc plusieurs couples qui peuvent être antagonistes, complémentaires ou semblables, et que chacun de ces couples veut croître et se développer à partir d’enjeux différents.

Jacques Salomé : “Contes à aimer, contes à s’aimer” Ed.Albin Michel

Partager:

administrator